Terrorisme et résistance : avec Gérard Rabinovitch, refuser la confusion (2ème partie)

{{ Nous publions la seconde partie de l’exposé de Gérard Rabinovitch, {“Terrorisme/ Résistance, la leçon d’Albert Camus.” }}}Gérard Rabinovitch avait ouvert sur ce thème essentiel la Conférence du 23 octobre 2013 organisée par le MPCT ” Résister au terrorisme, la leçon d’Albert Camus” Pour voir l’enregistrement de l’intervention de Gérard Rabinovitch à cette conférence :[https://www.youtube.com/watch?v=Z4qFyCBdls8->https://www.youtube.com/watch?v=Z4qFyCBdls8]A ses côtés à la tribune : Bertrand Lebeau, Claire Brière-Blanchet, Lise Haddad et Jean Monneret-{{4.}} De la section werewolf (loup garou) de la SS, spécialisée dans le terrorisme et l’assassinat individuel, Hitler exigeait : {“Vous devez être indifférents à la douleur. Vous ne devez connaître ni tendresse ni pitié. Je veux voir dans les yeux d’un jeune homme impitoyable, la lueur d’orgueil et d’indépendance que je lis dans le regard d’une bête de proie” }(B. FROST, 1973). Ailleurs il déclara : {“Dans les châteaux de mon ordre, grandira une jeunesse qui terrorisera le monde. Je veux une jeunesse violente, despotique, sans peur, cruelle…”}( H. RAUSCHNING, 1939).{{L’indifférenciation entre résistance et terrorisme, la complaisance opportuniste ou indulgente pour les actions de meurtres de masse (“attentats – suicide”, avions – bombe, véhicules piégés, bombes dans des lieux publics, “kamikazes”, etc), quotidiennement observables, signent un effondrement des codes de guerre qui tentent de préserver l’au – delà politique résolutoire d’un conflit armé.}} Tout autant qu’elles font indice d’une exultation veule, parce qu’à distance et sans risques, qui n’a plus grande chose à voir avec un quelconque projet révolutionnaire supposé préserver un avenir de réconciliation pacifiée et solidaire d’où une lutte “progressiste et émancipatrice” s’auto – justifie.{{Ceux qui, en s’esquivant à faire la différence entre résistance et terrorisme, ne se démarquent pas radicalement des modus opératoires du terrorisme et du meurtre en masse – signent de quelle mentalité ils procèdent. Quoiqu’ils se fassent comme illusion à eux – mêmes, en habillant, de la légitimité déclarative de résistance, une réalité terroriste. }}Montaigne avait, pour les guerres de son temps, déjà attrapé cette disposition : “Il n’est point d’hostilité excellente comme la chrétienne . Notre zèle fait merveille quand il va secondant notre pente vers la haine, la cruauté, l’ambition, l’avarice, la détractation, la rébellion (…). Notre religion est faite pour extirper les vices; elle les couvre, les nourrit, les incite » ( M. de MONTAIGNE, 2002).Le psychanalyste Jacques Lacan observait que “la parole dépasse le parleur, toujours le parleur est parlé” (J. LACAN, 1971). Le discours gauchiste de 68 avec ses slogans caricaturaux et triviaux de CRS = SS, ou de “Nouvelle Résistance” s’exaltait de procéder d’une résistance toute “imaginaire”. Enfantillages. Aujourd’hui son silence – quand ce n’est pas le déni ou la justification, une incroyable indulgence ou une condamnation de convenance – devant le terrorisme, vaut parole, et fait aveu de ce vers quoi il a déjà glissé : soit disant “compassionnel” et “libertaire”, en fait sombré “corps et âme” dans une criminalité pratique et morale qui l’englobe et le dépasse. Combattre le capitalisme, l’ultralibéralisme, l’impérialisme, la Raison instrumentale, ne peut devenir crédible et garder consistance qu’en s’arrachant à la ” pensée par blocs” comme disait M. Horkheimer (M. HORKHEIMER, 1993). Que si ce combat porte en lui la défense des forces de vies contre toutes les manifestations aux couleurs et habits variés des pulsions mortifères.Cette confusion entre « terrorisme » et « résistance » est un symptôme parmi d’autres. Il faudrait encore, dans le prolongement du propos, évoquer l’usage fait dans les médias « bobos » (bourgeois-bohème) du lexème ” Rebelle”, et sa prolifération épidémique, en figure d’Idéal. Construction autosuggestive et frivole, qui doit trouver son origine dans un antiautoritarisme et un adolescentisme benêts, dont la propagation, l’extension, la réfractation, dans les médias par son rayonnement imitatif à travers la presse entraîne une anomie lexicale (G. RABINOVITCH, 2005).Insurgés, résistants, guerrilleros, révolutionnaires, révoltés, mutins, frondeurs, contestataires, dissidents, opposants, etc ., tout le vocabulaire aux nuances riches des combats d’opposition, des conflits libérateurs, y disparaît de plus en plus.Et par épidémisation acéphale installe une indistinction, sous le même lexème, entre authentiques opposants politiques et narcotrafiquants, narcoguerrilleros patentés, groupes terroristes variés, gangs de prédateurs, ” bandits de grands chemins”. Et encore, couvre des combats nobles et des cruautés et atrocités sans noms, mêlant dans une totale confusion : persécutés et voyous, débrouillards et crapules, revendicateurs sociaux et pègre. Écrasant toute possibilité d’évaluation morale , de repères éthiques, sur les motifs qui animent les acteurs et leurs actions, brouillant les limites entre l’admis et le condamnable, le proscrit et l’acceptable.À quoi s’ajoute, évidemment la trivialisation publicitaire et apologétique du même terme. Puisqu’aussi bien des magazines ” people”, des automobiles, et autres produits de consommation, en sont nimbés, que des personnalités aux profils très éloignés, depuis d’insignifiants acteurs de l’entertainment jusqu’à d’authentiques créateurs, s’en trouvent couronnés.L’ensemble accompagné, voir initié, dans l’ “éclat de la supériorité” comme aurait dit Gabriel de Tarde (G. de TARDE, 1993), par de célèbres plumes du journalisme (J.F. Kahn) et de la philosophie médiatique (M. Onfray) et des artifices encyclopédiques, tels que « Mondes rebelles », décliné en « Monde rebelle junior », jusque pour les touts petits en un « Dictionnaire du petit rebelle ».On ferait bien de retenir comme une leçon ce que consignait S. Kracauer dans son Histoire du cinéma allemand (S. KRACAUER, 1973) : combien le thème de la “rebellion” et la figure du “rebelle” dans le cinéma pré hitlérien, avec ce qu’ils véhiculaient d’effacement du désir de mûrir, prédisposaient aux séductions hitlériennes.Il faudrait encore évoquer comment la figure du trafiquant prend la place du prolétaire dans la galerie des portraits des héros du social. À mesure que le travail et ses sacrifices se trouvent discrédités au profit des jouissances addictives de toutes sortes du ” Jouir sans entraves.” (G. RABINOVITCH, 2001). Ce “Jouir sans entraves” qui se croyait fulgurance libertaire de la “liberté sexuelle”, l’oxymore le plus grotesque des années 68, comme le soulignait Lacan, et ne se voyait pas si congruent au développement du capitalisme.Avec quelques indices parmi mille. Au Mexique aujourd’hui, les chants révolutionnaires composés à la gloire des héros de la Révolution mexicaine Pancho Villa et Émilio Zapata, ont été réécrits pour vanter la gloire des chefs des Cartels de la drogue. Tandis qu’à Rio, la direction politique de la pègre, authentique syndicat du crime, se dénomme “Commando rouge”, à la façon dont sa consoeur de Sao Paulo se proclame “Premier commandement de la Capitale”.Se réalise ou se reproduit le signal de ce que Netchaïev, si bien identifié par Camus (avec l’aide de ses amis Lazarevitch et de Rosmer) dans sa destructivité, affichait. À savoir, selon l’acolyte de Bakounine, l’impératif de “s’unir au monde sauvage des bandits, ce véritable et unique milieu révolutionnaire de la Russie” (sic !) (A. CAMUS, 1951).-{{Pour conclure}}Toutes ces confusions participent de l’installation possible d’une Culture impériale sans précédent de la “toute puissance”, de la haine, du nihilisme, et de la raison instrumentale. Dans son arpentage, peut-être ne serait – il pas inutile de s’aider de quelques balises. Les citations d’auteurs sont l’indication de “compagnons de pensée” et le témoignage de la dette due.Je vous en suggère quatre que le temps n’a certes pas rendues caduques.{{Cette observation du philologue Victor Klemperer}} : “La langue ne se contente pas de poétiser et de penser à ma place, elle dirige aussi mes sentiments, elle régit tout mon être moral d’autant plus naturellement que je m’en remets inconsciemment à elle. Et qu’arrive-t-il si cette langue cultivée est constituée d’éléments toxiques ? Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, elles semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelques temps l’effet toxique se fait sentir.”(V. KLEMPERER, 1996).{{Cette leçon déjà d’Albert Camus }}:{ “La révolution sans honneur, la révolution du calcul qui, préférant un homme abstrait à l’homme de chair, nie l’être autant de fois qu’il est nécessaire, met justement le ressentiment à la place de l’amour. Aussitôt que la révolte, oublieuse de ses origines, se laisse contaminer par le ressentiment, elle nie la vie, court à la destruction et fait se lever la cohorte ricanante de ces petits rebelles, graine d’esclaves, qui finissent par s’offrir, aujourd’hui, sur tous les marchés d’Europe, à n’importe quelle servitude. Elle n’est plus révolte ni révolution, mais rancune et tyrannie.”}(A. CAMUS, 1951). {{Cette analyse que Sigmund Freud faisait de la fascination qu’exerce le criminel sur le névrosé }}: {“Le grand criminel force notre intérêt, par la conséquence narcissique avec laquelle il sait tenir éloigné de lui tout ce qui amoindrit le Moi, incarnant une sorte de position libidinale inexpugnable. Alors même que les lois répriment les conséquences de ses actes”}(S. FREUD, 1969).{{Cet avertissement d’Alexis de Tocqueville}} :{“Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau. Mais c’est à quoi nous ne songeons guère; placés au milieu d’un fleuve rapide, nous fixons obstinément les yeux vers quelques débris qu’on aperçoit encore sur le rivage; tandis que le courant nous entraîne et nous pousse à reculons vers les abîmes”}(A. de TOCQUEVILLE, 1986).{{Ou pour conclure évidemment avec Albert Camus : {« Ce qui caractérise notre siècle, ce n’est pas tant d’avoir à reconstruire le monde que d’avoir à le repenser. » }}}(A. CAMUS, 2006). {{Gérard RABINOVITCH}}CERSES-Université René Descartes/CNRS___________________________________________________________________Article publié en 2009 dans “Un monde en trans” aux Editions EDK{{Bibliographie}}BUBER, M. 1963. Les Récits hassidiques, Paris, éd. du Rocher.CAMUS, A. 1951. L’Homme révolté, Paris, éd. Gallimard.CAMUS, A. 1973. Les Justes, Paris, éd. Gallimard.CAMUS, A. 2006, « Sur une philosophie de l’expression », in Œuvres complètes, tome I, Gallimard, La Pléiade.ÉLIAS, N . 1973. La Civilisation des mœurs, éd. Presse Pocket.FREUD, S. 1969. La Vie sexuelle, éd. des P.U.F.FROST, B. 1973. Book of the WereWolf, London, éd. London Sphere Books.HORKHEIMER, M. 1993. Notes critiques, éd. Payot.KLEIN. H. J. 1980. La Mort mercenaire, témoignage d’un ancien terroriste ouest-allemand, éd. du Seuil.KLEMPERER,V. 1996. LTI, LA Langue du IIIème Reich, éd. Albin Michel.KRACAUER, S. 1973. De Caligari à Hitler, une histoire du cinéma allemand, éd. Flammarion.MONTAIGNE (de). 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