«Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie » : le terrorisme remis en scène en Avignon

{{La programmation ces derniers jours ans le “off ” du festival d’Avignon d’une pièce mettant en scène les dernières heures du terroriste Mohamed Merah a suscité une vive émotion auprès des familles de ses victimes. }} La pièce est proposée aux spectateurs à partir de 14 ans …C’est d’abord Latifa Ibn Ziaten, mère de la première victime de Merah, le soldat Imad Ibn Ziaten, qui s’est élevée contre le fait de mettre, à nouveau, Merah en vedette.On relèvera que la pièce de l’auteur algérien Mohamed Kacimi, mise en scène par Yohan Manca ( qui interprète Merah) avait été, hasard troublant, jouée les 11, 12 et 13 novembre 2015, dans le 11 ème arrondissement de Paris, juste avant qu’il ne soit ensanglanté par des émules de Merah !Aux nombreuses protestations reçues, la direction du Festival a répondu que le Festival n’est pas responsable de la programmation du OFF.Nous reproduisons ci-dessous la lettre de notre ami Thomas D.{{Mohamed Kacimi a été choqué par les protestations. }} Nous publions à la suite de larges extraits de sa mise au point.{{Enfin, on se reportera à la très fine analyse publiée dans Marianne par l’universitaire Isabelle Barbéris}}:[https://www.marianne.net/debattons/idees/derives-ideologiques-du-spectacle-moi-la-mort-sur-mohamed-merah->https://www.marianne.net/debattons/idees/derives-ideologiques-du-spectacle-moi-la-mort-sur-mohamed-merah]Marlène Jason{{Lettre à Olivier Py}}”Ayant appris la programmation d’une pièce intitulée «Moi, la mort je l’aime comme vous aimez la vie » mettant en scène les derniers moments de la vie de Mohamed Merah, je vous écris pour vous faire part de mon incompréhension et de mon indignation.L’auteur Yohan Manca déclare avoir monté sa pièce dans le but de « comprendre et non d’excuser ».D’après l’interview qu’il a donné à France Info (http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire/merah/festival-d-avignon-une-piece-sur-les-dernieres-heures-de-mohamed-merah_2276495.html) il estime qu’il s’agit là d’un travail nécessaire même s’il y a des gens qui n’ont pas envie de voir ça, qui n’ont pas envie d’entendre ça, qui n’ont pas envie de se replonger dans ces affaires-là”.Il se trouve que je fais partie de ces gens-là, estimant que justement on en a trop entendu parler de la plus insupportable des manières. Depuis mars 2012, tous les articles relatifs à la toute première attaque djihadiste sur le sol français de ces 5 dernières années, (annonçant Charlie Hebdo, Hypercacher, Montrouge, Bataclan et Nice) avaient toujours en guise d’accroche un titre du style « Affaire Mérah » et une photo du visage goguenard ce « jeune paumé des cités » pour reprendre les euphémismes tellement usités à l’égard de ces assassins.On n’a vu que lui, on n’a lu que son nom, on a tout appris de son parcours, sa jeunesse forcément misérable, ses peines de cœurs, etc.ET LES VICTIMES DANS TOUT CA ??Imad Ibn Ziaten (30 ans), Abel Chennouf (25 ans), Mohamed Legouade (24 ans), les 3 militaires tués parce que militaires et issus de l’immigration arabo-musulmane, donc des « traitres » aux yeux de Mérah …Jonathan Sandler (30 ans), enseignant à l’Ecole Ozar Hatorah de Toulouse, ses 2 enfants Gabriel et Ariéh (4 et 5 ans), Myriam Monsonégo (7 ans) la fille du directeur de cette école, abattus à bout pourtant parce que juifs…Quelle place les médias leur ont-ils laissée durant ces 5 dernières années, à part une simple ligne comme celle qui figure en début de l’article de France Info : « le terroriste islamiste qui a tué sept personnes en mars 2012. ». Pas de noms, de photos, pas d’identité, rien qu’une info statistique sans aucunes précisions comme je viens de le faire ci-dessus …Heureusement que Madame Latifa Ben Ziaten, mère du premier soldat tué par Mérah, a pu avoir une certaine audience pour combler un tout petit peu cette quasi-absence.Ce n’est manifestement pas le monde artistique qui va corriger cette injustice, surtout lorsqu’on lit la dernière partie de l’article où Monsieur Manca déclare “Quand il fait ces actes, il a 22 ou 23 ans. J’avais à peu près le même âge que lui, on est de la même génération”. Ainsi donc, il se sentirait donc plus d’affinités avec le terroriste qu’avec ses victimes : il se pose donc davantage de questions sur le parcours passé de l’assassin que sur ce qu’auraient pu être les parcours, carrières, passions des jeunes gens dont il a choisi délibérément de les priver de leur droit de vivre ?Y-a-il un auteur, acteur, danseur, poète, chanteur, plasticien, dessinateur, etc…qui ait seulement songé à mettre ses talents au profit des victimes, à leur redonner la parole par-delà leur assassinat ? Ou bien n’y aurait-il donc que les «salauds » qui aient droit aux honneurs de l’audimat et du box-office ? Des salauds pour lesquels on devrait avoir de la pitié sous prétexte sous prétexte « qu’ils ont grandi avec nous, qu’on aurait fréquenté les mêmes milieux, etc…et que si ils se sont perdus dans le terrorisme, c’est parce qu’on «n’aurait pas su les retenir et que la « société serait donc en partie responsable », autre mantra maintes et maintes fois récité dans une certaine sociologie de l’excuse ?Pour ma part, j’en ai plus qu’assez de cette compassion quasi-exclusivement réservée aux assassins, assortie d’une déresponsabilisation de leurs actes. Et afin de rendre justice et paroles aux victimes des attentats, je me permets de vous adresser les documents suivants : -Un texte d’une enseignante dédiée à Myriam Monsonégo dont je me permets de vous citer la seule phrase relative à Merah «Myriam, je vais te laisser. Je sais que depuis quelques heures tu reposes en paix, dans ta Terre Promise, et je vais chaque jour que notre même Dieu fait prier pour que tes chers parents trouvent la paix. En ce moment même, la Bête est traquée. Je n’ai pas voulu, ici, parler d’elle trop longuement. Elle ne mérite que mon mépris. » -Une chanson du compositeur Johan Joosten : Sur les bancs de mon Ecole, dédiée aux enfants d’Ozar Hatora. A part lui, quel autre artiste a tenu à leur rendre hommage ? -Une tribune d’une « Tunisienne en colère » intitulée « VOUS PAIEREZ !! » parue le 19/07/17 et qui s’adresse directement aux auteurs du carnage de la promenade des Anglais il y a maintenant presque 1 an, en les remettant bien à la place qui est la leur (« Falsificateurs, voleurs, violeurs, assassins, drogués, désaxés, pervers, pédophiles, crapules sans foi ni loi, ni votre Califat d’opérette, ni votre Jihad viral, ni votre terrorisme low-cost ne changeront votre statut sur l’échelle de la Création. « Vous êtes et demeurerez à tout jamais des rebuts de l’humanité”.){{N’ayez pas peur, ne cesse-t-on de nous répéter depuis les attentats de janvier 2015. }} Difficile toutefois d’être optimiste lorsque, sous couvert d’expression artistique, on dédaigne les victimes au profit de leurs assassins. Et quand bien même ceux-ci ont grandi dans la même société que moi-même, je leur refuse ma fraternité. On est certes né sous la même « Mère » (la République ) mais eux ont fait le choix de la trahir en épousant d’autres repères et d’autres valeurs qui ne sont pas les miennes. Et au nom de ces pseudo-valeurs, ils ont délibérément commis l’irréparable et l’innommable sans la plus petite once de remords.Je n’ose imaginer ce que pensent les familles des victimes si elles savaient que les salauds qui ont tué leurs proches sont devenus des « héros » de pièces de théâtres. Monsieur Manca s’est-il seulement posé la question ?Respectueusement.Thomas D.” -{{Extraits de la mise au point de Mohamed Kacimi}}”1- Je suis originaire d’un pays, l’Algérie, qui a été mis à feu et à sang, à jamais, par les islamistes dont la terreur a fait plus de 200000 victimes, parmi lesquelles des membres de ma famille et beaucoup de mes amis. Sur ce point là je n’ai de leçon à recevoir de personne. Et toutes mes œuvres, souvent inspirées du judaïsme, « Babel », Abraham, la table de l’éternité, inspiré du livre de Job dénoncent les religions meurtrières. 2- Le théâtre a été inventé par les Grecs pour conjurer les peurs de la Cité. J’écris toujours là où ça fait mal. Le propos de la pièce sur Merah ne consiste pas en faire un héros, mais à dénoncer la misère sociale et culturelle dans laquelle est plongée une grande partie de la jeunesse française aujourd’hui, et qui, ajoutée à la cécité des services de la police, transforme un gamin paumé en machine à tuer. En faire simplement un monstre, ne suffira jamais à recoudre la plaie, à ressusciter les morts et encore moins à faire tourner la page de ce crime. Au cœur même des ténèbres d’Auschwitz, Primo LevI refusait qu’on applique ce qualificatif aux SS, préférant le terme de « fonctionnaires », du mal, de l’horreur. Merah était lui aussi « un désœuvré « de l’horreur. Et ce n’est pas en niant au meurtrier son humanité que nous pourrons comprendre la raison de ses crimes inhumains. Au contraire ! Merah, ainsi que tous les autres jeunes français qui partent se faire exploser à Raqqa ou à Mossoul, ne sont pas des monstres tombés du ciel, mais des enfants, les nôtres, nés dans cette société qui parfois, à force de misère, ne leur laisse que la religion comme issue de secours. Quand le négociateur de la DCRI pose la question à Merah pour savoir de quelle identité il se réclamait, français ou musulman, Merah lui répond « Je me sens 100% français ». Voilà, la pièce n’avait pas d’autre but que de montrer au public l’itinéraire de ce « gamin » ou d’un Alien si on veut , perdu passionné des Simpson, qui rêvait de se faire enlever par les Talibans et qui comprenait mieux Mesrine que Mahomet avant de sombrer dans sa folie meurtrière. 3- Les accusations de connivence avec le terroriste ou d’apologie de l’Islamisme qu’on porte à mon égard ont un fort relent de racisme odieux Pour beaucoup un Mohamed Kacimi congénitalement ne peut être que solidaire avec un Mohamed Merah. Ils partagent les mêmes prénoms et doivent avoir la même religion. Seulement, il existe aussi des Mohamed, laïcs, rationalistes, engagés parfois seuls dans la lutte contre l’intégrisme et se battent pour l’accès à la culture de tous. Et ce n’est pas en interdisant une pièce de théâtre qu’on mettra fin au terrorisme et à la violence qui l’engendre, tout comme on ne soigne pas un cancer en fermant les yeux sur le mal. Avignon 11 juin 2017″