Tribune de Bertrand Lebeau : A propos de l’affaire Clotilde Reiss

-Les pays occidentaux ne marchandent pas la libération de leurs nationaux. C’est du moins ce qu’ils affirment lorsqu’ils négocient avec des groupes terroristes ou des Etats voyous. Même si personne n’est dupe, la ligne est constante : il faut sauver les apparences. Et peut-être n’y a-t-il en effet aucune autre voie. Reconnaître que l’on négocie aurait quelque chose de honteux et obligerait à entrer dans toutes sortes de détails embarrassants. Il vaut mieux ne pas ouvrir la boîte de Pandore. -Dernier exemple en date : les autorités espagnoles nient farouchement avoir payé une rançon pour la libération au Mali le 10 mars dernier d’Alicia Gamez enlevée avec deux collègues d’une association humanitaire en Mauritanie cinq mois auparavant par Al Qaida au Maghreb Islamique. Un responsable gouvernemental a pourtant reconnu, off the record, que le gouvernement avait versé 5 millions de dollars pour cette libération. Et la presse espagnole s’est fait largement l’écho de cette rumeur. En l’état, elle reste une pure spéculation même si elle a de fortes chances d’être vraie. -De ce point de vue, l’affaire Clotilde Reiss présente une étrange particularité. Il est rare en effet que le marchandage, bien que nié par les deux parties, se présente de manière aussi explicite : la libération avant celle de Clotilde Reiss, de Madjid Kakavand, un ingénieur iranien assigné en France et dont les Etats-Unis demandaient l’extradition, une autre juste après et non des moindres puisqu’elle concerne Ali Vakili Rad, l’un des assassins de l’ancien Premier ministre Chapour Bakhtiar. Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas faire le lien. Et tout le monde le fait. D’autant qu’une libération juste après la durée incompressible de la peine, comme ce fut le cas du tueur iranien, est inhabituelle.-On peut se demander pourquoi les autorités françaises ont accepté d’échanger presque ouvertement une innocente contre un tueur. Est-ce parce que la thèse selon laquelle rien n’est jamais négocié ne représente plus qu’une fiction diplomatique ayant tant perdu de sa crédibilité que le sauvetage des apparences devient lui-même presque superflu ? -Il existe une autre hypothèse : pour récupérer Clotilde Reiss les Français devaient passer sous les fourches caudines du régime iranien et accepter d’être publiquement humiliés. Accepter aussi que l’opposition, par la voix de Benoît Hamon, fasse part de ses doutes sur la version officielle. On peut certes reprocher à Hamon ses déclarations. Mais pouvait-il cautionner une version officielle aussi peu crédible ? D’une certaine manière, il n’avait pas trop le choix. Et c’est une des retombées sinistres de cette sombre affaire.-Pourquoi donc les autorités iraniennes chercheraient-elles à humilier la France ? Il existe un lourd contentieux entre les deux pays et qui date précisément de la guerre Iran-Irak puis des attentats organisés ou financés par les Iraniens sur le sol français. Mais au-delà, il y a le désir de ridiculiser et d’humilier des sociétés considérées comme molles, avachies et lâches. Il suffit de se souvenir de la visite de Kadhafi en décembre 2007, une visite interminable de cinq jours et qui sembla durer cinq semaines tant la volonté de ridiculiser et d’offenser ses hôtes était crûment affichée par le dictateur libyen. Personne ne doutait alors que c’était une partie du « deal » pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien.-Il existe une explication plus simple et, au demeurant, plus réaliste de l’échange qui a présidé à la libération de Clotilde Reiss : les mollahs avaient besoin de garanties et ont exigé de récupérer deux de leurs agents l’un avant et l’autre après la libération de la jeune française, à charge pour la France de se dépatouiller avec cette exigence. Bref, exit la volonté d’humilier.C’est, après tout, possible. Et on n’en saura probablement jamais rien. Mais la libération des otages occidentaux est désormais l’objet de marchandages si explicites et si honteux que la volonté d’humilier ne peut être balayée d’un revers de main. Reste une question et non des moindres : pouvons-nous faire autrement ? Bertrand Lebeau Administrateur du MPCT