Les droits des victimes des actes terroristes au regard du droit international et du droit européen

{{David RuziéProfesseur émérite des universitésSpécialiste de droit internationalMembre du Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme (MPCT)}} – {{ Lors du Colloque, organisé à Turin, les 21-22 mai 2009, par l’Association italienne des victimes du terrorisme, en liaison avec le Réseau européen des victimes du terrorisme, la question des droits des victimes des actes terroristes au regard du droit international et du droit européen a été évoquée, après des exposés portant sur la situation dans plusieurs pays (Italie, Espagne et France).}} Tout d’abord, sur le plan international universel, la question d’une action au niveau des Nations Unies a été évoquée. Mais, le soussigné croit pouvoir mettre en garde sur ce qu’il se permet d’appeler une « fausse bonne idée ». Certes, l’envoi d’une délégation de victimes d’actes de terrorisme lors de la prochaine Assemblée générale, en septembre 2009, à New York apparaît une idée opportune, cela permettrait, effectivement, de sensibiliser, concrètement, sur le plan psychologique, les participants à ce grand forum diplomatique, à l’échelle universelle, sur les conséquences d’actes de terrorisme.- {{ En revanche, s’imaginer qu’une action efficace, sur le plan des droits des victimes, pourrait être envisagée dans le cadre de l’ONU est purement illusoire.}} {{ En effet, il suffit de rappeler que depuis plusieurs décennies la question de la définition du terrorisme, démarche préalable à la prise en compte des droits des victimes, est, périodiquement, évoquée, dans les instances de l’Organisation mondiale, sans pour autant aboutir.}} {{ Cet échec est dû au souci d’un certain nombre d’Etats de refuser de qualifier d’actes de terrorisme, des actes de terreur, au motif que, selon eux, certaines situations, notamment l’ « occupation étrangère», justifieraient de tels actes, en dépit de leur caractère odieux. Or, il est évident qu’aucune motivation politique ne peut justifier le recours à des actions terroristes.}} Certes, en dépit de l’absence de définition générale du terrorisme, certaines mesures concrètes ont été adoptées, au plan universel, sous forme de conventions internationales (ex. : convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif de 1997, convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999, convention internationale contre terrorisme nucléaire de 2005). Mais, si, éventuellement, des dispositions étaient, toutefois, également, adoptées pour venir en aide aux « victimes du terrorisme », il y aurait un risque certain de « dévoiement » de la notion de victimes du terrorisme, Car si les Etats, précédemment évoqués, refusent de qualifier comme tels certains actes, pourtant manifestement de nature terroriste, en même temps ils n’hésitent pas à qualifier de « terroristes » les réactions de certains Etats devant des actes mettant en danger tant leur sécurité que la vie de leurs citoyens. On constate un tel abus de terminologie devant des situations abusivement qualifiées de « réfugiés » aux seules fins de bénéficier d’une aide internationale, voire pour justifier des prétentions de nature politique.- {{ S’agissant, en second lieu, d’une action au plan européen, il faut distinguer une action éventuelle, dans le cadre du Conseil de l’Europe d’une part, et une action éventuelle dans celui de l’Union européenne d’autre part.}} – Dans le cadre du Conseil de l’Europe, organisation, qui compte, actuellement, 47 Etats (l’organisation s’étant ouverte aux pays d’Europe centrale et de l’Est), on pourrait concevoir l’élaboration d’une convention relative aux droits des victimes des actes de terrorisme, d ès lors que cette organisation a, dès 1977, adopté une convention visant à réprimer ces actes. Actuellement, 206 conventions ont été adoptées sous les auspices du Conseil de l’Europe, mais toutes ne sont pas entrées en vigueur du fait que le minimum de ratifications exigées (déterminé pour chaque convention) n’a pas été atteint. Il y a donc un risque de voir surgir, également, cet obstacle, où en tout cas de ne pas voir tous les Etats accepter d’être liés par une telle convention, qui constituerait une « charte des victimes du terrorisme ».(1) – S’agissant, enfin, de l’Union européenne, comptant, actuellement, 27 Etats membres, les mesures visant directement les droits des victimes des actes de terrorisme sont relativement limitées. {{ Certes, l’Union européenne s’est effectivement engagée dans la lutte contre le terrorisme, depuis la fin de 1998, mais la place faite, nommément, aux victimes est restreinte.}} – Ainsi, au lendemain de l’attentat de Madrid du 11 mars 2004, la journée du 11 mars a été proclamée « journée européenne des victimes du terrorisme » et depuis le budget communautaire 2005, une ligne budgétaire est officiellement consacrée à l’aide aux victimes d’actes terroristes. (2) {{ Concrètement, l’Union européenne se consacre au financement d’actions en faveur des victimes d’actes de terrorisme, dans les différents pays membres.}} Dans un projet pilote pour les victimes des actes de terrorisme, lancé en 2005, la Commission avait identifié un certain nombre d’actions qu’elle était prête à soutenir : intervention de professionnels pour assurer un soutien psychologique aux victimes et à leur famille, programmes de formation spécialisés destinés aux personnes apportant un soutien aux victimes et à leurs familles, programmes de réinsertion sociale des victimes, création et financement de centres d’accueil pour les victimes et leur famille, programmes médicaux spécifiques pour victimes d’actes terroristes, aide matériel aux victimes et à leur famille, aide et conseils juridiques aux victimes et à leurs familles, recensement des en matière d’aide aux victimes d’actes terroristes, renforcement de la coopération et échange d’informations entre les organisations existantes et /ou leurs réseaux sur le terrain, études sur la situation des victimes d’actes terroristes, sensibilisation du public européen face à la menace terroriste afin que l’opinion condamne le terrorisme sous toutes ses formes, campagne d’information pour faire connaître au public européen l’aide aux victimes d’actes terroristes, manifestations publiques, séminaires, conférences visant à développer l’esprit de solidarité à l’égard des victimes. Depuis lors, les projets dans ce domaine ont été financés par la Commission chaque année, d’abord par une action préparatoire en 2006 et ensuite, depuis 2007, au travers du programme budgétaire “Criminal Justice Financial Programme”. (3) C’est à ce titre que des associations nationales de victimes de terrorisme se sont créées dans divers pays et qu’elles reçoivent des subventions. De même, a été encouragée la constitution du réseau européen des victimes de terrorisme, qui a déjà organisé un certain nombre de manifestations, dont la rencontre de Turin des 21-22 mai 2009. Ainsi, sur le plan normatif, à l’heure actuelle il n’existe pas de dispositions spécifiques consacrées aux victimes du terrorisme mais il faut relever l’existence de la directive 2004/80 du 29 avril 2004 relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité, prise sur la base de l’article 308 du traité instituant la Communauté européenne (JO L261/15 du 6 août 2004. Cet article dispose, en effet, que « lorsqu’une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées ». Or, précisément, le Conseil a considéré qu’un des objectifs de la Communauté européenne est de supprimer, entre les États membres, les obstacles à la fibre circulation des personnes et des services.et rappelé que dans l’affaire Cowan, (2 février 1989, aff. 186/87, Rec. 1989 p. 195).la Cour a dit que, lorsque le droit communautaire garantit à une personne physique la liberté de se rendre dans un autre État membre, la protection de l’intégrité de cette personne dans ledit État membre, au même titre que celle des nationaux et des personnes y résidant, constitue le corollaire de cette liberté de circulation. Et des mesures visant à faciliter l’indemnisation des victimes de la criminalité devraient concourir à la réalisation de cet objectif Aussi, le Conseil européen réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999 a souligné la nécessité d’établir des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne leurs possibilités d’accès à la justice et leur droit à réparation, y compris au remboursement des frais de justice. Et, dans sa déclaration sur la lutte contre le terrorisme, le Conseil européen, réuni à Bruxelles les 25 et 26 mars 2004, a demandé l’adoption de cette directive avant le ler mai 2004. D’ailleurs, déjà, le 15 mars 2001, le Conseil des ministres avait adopté la décision-cadre 2001/220/JAI relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JO L 82 du 22 mars 2001 p. 1). Fondée sur le titre VI du traité sur l’Union européenne, cette décision permet aux personnes de demander réparation, pendant le déroulement d’une procédure pénale, à l’auteur de l’infraction, dont elles ont été victimes. Et l’article 10-2 de la décision cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme (JO L du 22 juin 2002, p. 3) disposait qu’outre les mesures prévues par la décision-cadre 2001/ 2201 précitée, chaque État membre prend, « si nécessaire, toutes les mesures possibles pour garantir une aide adéquate à la famille de la victime ». {{En adoptant la directive de 2004, le Conseil a estimé que les victimes de la criminalité dans l’Union européenne devaient avoir droit à une indemnisation juste et appropriée pour les préjudices qu’elles ont subis, quel que soit l’endroit de la Communauté européenne où l’infraction a été commise.}} Et précisément la directive en question instaure un système de coopération visant à faciliter aux victimes de la criminalité l’accès à l’indemnisation dans les situations transfrontalières. Ce système doit fonctionner sur la base des régimes en vigueur dans les États membres pour l’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs et il faut donc qu’un mécanisme d’indemnisation soit en place dans tous les États membres. De fait, dès cette époque, la plupart des États membres avaient déjà mis en place de tels régimes d’indemnisation, dans certains cas pour répondre à leurs obligations au titre de la convention européenne du 24 novembre 1983 relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes. Étant donné que les mesures contenues dans cette directive étaient nécessaires pour atteindre les objectifs de la Communauté et que le traité ne prévoyait pas, pour l’adoption de cette directive, d’autres pouvoirs d’action que ceux de l’article 308, il convenait donc d’appliquer ce dernier article. Les victimes d’infractions ne parvenant souvent pas à se faire indemniser par l’auteur de l’infraction dont elles ont été victimes, soit parce que ce dernier ne dispose pas des ressources nécessaires pour se conformer à une décision de justice octroyant à la victime des dommages et intérêts, soit parce qu’il ne peut pas être identifié ou poursuivi, il y avait lieu de meure en place un système de coopération entre les autorités des États membres afin de faciliter l’accès à l’indemnisation dans les cas où l’infraction a été commise dans un autre État membre que celui où la victime réside. Ce système doit permettre que la victime d’une infraction puisse toujours s’adresser à une autorité de l’État membre dans lequel elle réside, et doit aplanir les difficultés pratiques et linguistiques qui peuvent se présenter dans les situations transfrontalières. Et le système doit comprendre les dispositions nécessaires pour permettre à la victime d’une infraction de trouver les informations dont elle a besoin pour introduire sa demande d’indemnisation, et pour assurer une coopération efficace entre les autorités concernées. Cette directive était censée respecter les droits fondamentaux et observer les principes réaffirmés notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en tant que principes généraux du droit communautaire. Notons que ce texte n’est obligatoire que dans ses objectifs, chaque Etat étant libre d’atteindre ces objectifs selon les techniques qu’il juge opportunes et cela à la différence d’un règlement , dont tous les éléments seraient directement obligatoires dans les Etats membres. {{ On est donc loin d’envisager une véritable « charte des droits des victimes d’actes de terrorisme », comme l’espèrent les associations nationales.}} A priori, les législations nationales existant à la date de l’adoption de la directive (y compris la législation britannique qui vise les victimes des actes de violence en général) nous paraissent conformes aux objectifs fixés par la directive. L’initiative communautaire ne vise donc pas directement les victimes d’actes de terrorisme, celles-ci n’étant qu’une composante de la catégorie des victimes d’actes de violence. Pratiquement, cela marque une limite à l’aide que les victimes du terrorisme sont en droit de recevoir, comme l’illustre une comparaison entre la législation britannique (4) et la législation des pays qui prennent en compte directement les victimes d’actes de terrorisme. {{ On ne peut que regretter que l’Union européenne n’ait pas, à l’heure actuelle, à défaut d’une véritable « charte », au moins envisagé, sur la base des législations existant dans plusieurs pays (Espagne, France, Italie) de promouvoir un rapprochement des législations, concernant directement les droits des victimes des actes de terrorisme. }} Paris le 19 juin 2009David Ruzié(1) Il faut toutefois signaler que par une résolution en date du 2 mars 2005, les délégués du Comité des ministres ont, tout en reconnaissant « le rôle important des associations de protection des victimes d’actes terroristes », adopté des « Lignes directrices » que les Etats membres devraient mettre en oeuvre, comportant, notamment, une assistance d’urgence, une assistance à plus long terme et une indemnisation. ([v. https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM(2005)29&Language=lanFrench&Site=CM&BackColorInternet=C3C3C3&BackColorIntranet=EDB021&BackColorLogged=F5D383).->undefined](2)De fait, depuis 2004, la Commission finançait déjà certains projets.(3)Pour connaître les projets qui peuvent être financés au profit des victimes d’actes de terrorisme, on consultera le programme dont le lien est indiqué ci-après, qui reprend, pour 2009 les objectifs et les critères pour l’octroi de subventions([http://ec.europa.eu/justice_home/funding/jpen/doc/awp_jpen_2009_en.pdf).->undefined] Signalons, que la question relève de la Direction générale Justice, Liberté et Sécurité, à laquelle on pourra s’adresser.(4)Cette législation ne permet pas d’indemniser les victimes d’actes de terrorisme commis hors du territoire britannique.