La Conférence d’examen de Durban

{{Intervention de Bernice Dubois, déléguée du MAPP}} {{(Mouvement Pour l’Abolition de la Prostitution, la Pornographie et toutes formes de discriminations sexistes) à la conférence organisée le 7 mai 2009 par le MPCT}} Nous avions très bien compris que cette Conférence ne ressemblerait pas du tout dans sa forme à celle de Durban 2001 et nous avions raison. D’abord, le choix de l’ONU à Genève était une garantie qu’il n’y aurait ni violence physique ni affiches ou littérature haineuses. Ensuite, le fait que la tenue d’un Forum officiel des ONG n’ait pas été autorisée en était une autre. Finalement le refus de l’ONU de subventionner largement la venue de milliers d’ONG, comme elle l’avait fait il y a 8 ans, en était la troisième. Nous savions donc que cette Conférence ne comporterait pas les mêmes violences que celles que nous avions vécu à Dπurban. Par contre, nous avions compris très tôt que les dangers y seraient beaucoup plus subtils et beaucoup plus graves. Là aussi nous avions malheureusement raison. Le document gouvernemental de Durban comporta déjà toutes les dérives : – les atteintes aux Droits Humains universels, – l’incitation à changer les normes selon lesquelles les Etats jugent ces Droits, – le refus de reconnaître quelque forme de racisme ou de discrimination que ce soit dans les pays les plus racistes et les plus discriminatoires, – la volonté de ne stigmatiser le racisme et la discrimination QUE dans des pays démocratiques, ouverts à la critique par définition,- le refus de faire la moindre avance, ni même de confirmer des positions déjà intégrées par l’ONU, concernant les droits des femmes,- l’introduction de termes comme « l’islamophobie » afin d’empêcher toute critique de l’islam, et j’aimerais faire remarquer que ce terme est introduit officiellement avant le 11 septembre, alors que l’on nous explique qu’il est une réponse aux attaques contre des musulmans qui sont une conséquence de ce terrorisme.- l’affirmation du rôle central de la religion. Tout cela est bien consigné dans la Déclaration et le Programme d’Action de Durban. Il suffisait donc de « réaffirmer » ces documents, ce qui est fait dans le § 1 et renforcé par le § 52 du nouveau document. Qu’a-t-on donc fait pendant les deux années de réunions préparatoires ? Nous avons assisté à une tactique intelligente et efficace que nos démocraties n’ont ni vu ni su contrer. Les 57 Etats de l’OIC (l’Organisation de la Conférence Islamique), soutenus par la Chine, Cuba, la Russie et d’autres, ont inséré des § plus inacceptables aux démocraties les uns que les autres. Ce furent autant de points de marchandage. Les démocraties, n’ayant pas compris la tactique, se sont épuisées à s’opposer à ces §. Au bout de deux ans, lorsque plusieurs pays avaient décidé qu’il n’y avait pas moyen d’obtenir un document réellement efficace pour combattre le racisme et fidèle aussi aux principes fondateurs des Nations Unies, les Etats islamiques ont prétendu « faire d’immenses sacrifices », comme l’a dit la Syrie, en acceptant de supprimer certains de ces §. « L’arbre est nu ; il n’y a plus de feuilles », a crié la Syrie, l’air exaspéré. Les pays de l’OIC avaient ensuite beau jeu de clamer leur « souplesse exemplaire » et de condamner l’intransigeance « incompréhensible » des démocraties. La partie était gagnée. Toute lutte réelle contre le racisme était sacrifiée, une fois de plus. Le mot de « mascarade », lancé par quelques étudiants juifs de France était, hélas, le mot exact. À quelques exceptions près, le document n’aidera pas plus à combattre le racisme dans le monde que celui de Durban. Parmi les exceptions est la mention spécifique des Roms. La raison en est que les Roms sont discriminés essentiellement en Europe, puisque c’est là qu’ils habitent, et il est donc permis d’en parler, comme ce fut déjà le cas dans le Programme d’Action de Durban. Autre exception, de même qu’à Durban, les populations autochtones sont soutenues contre des discriminations, mais là il y a encore et toujours une supercherie. Le § 71 déplore « la violence dont sont victimes les jeunes autochtones et les jeunes d’origine africaine, en particulier dans les zones périurbaines des grandes villes ». Il semble se référer donc à des populations ayant migré en Europe, mais non de la situation des minorités autochtones chez eux en Afrique et en Asie. On y loue la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, mais on ne tient jamais compte de leur existence dans un pays musulman, en Chine ou en Afrique. C’est pourquoi nous avons assisté au harcèlement systématique des ONG qui prenaient la parole au nom des populations amazighs au Maghreb et en Libye, des Tibétains, des Baha’is. D’autres n’étaient même pas là, n’ayant pas les moyens du déplacement ou sachant que leur accréditation serait bloquée par l’Etat dont elles étaient citoyennes, ou encore redoutant les terribles représailles qu’elles subiraient par la suite. Ne sont donc pas venus les Coptes d’Egypte, les Chrétiens d’Orient, les Kurdes du Moyen-Orient, les Pygmées d’Afrique, les ethnies noires du Soudan et bien d’autres. Lors de l’une des réunions préparatoires, le délégué algérien avait demandé que chaque pays demande formellement pardon aux populations autochtones qu’il avait discriminées. Je suis allée lui demander à quelle date l’Algérie comptait demander pardon aux Amazighs (leur représentant n’a pu venir que pour la Conférence elle-même). Rare moment de plaisir ! Il faut apprendre à goûter quelques moments de satisfaction, même à l’ONU. J’ai parlé du harcèlement systématique de certaines ONG, voire parfois leur mise à silence. Par contre, au cours de toutes les réunions préparatoires, ainsi qu’à la Conférence elle-même, certains Etats s’exprimaient souvent avec une violence inouïe. Certaines ONG aussi, pourvu que leur discours était celui de la majorité des Etats. Le harcèlement était toujours ouvertement sélectif. En fait, et contrairement à Durban, j’ai trouvé plus stressante, plus difficile à supporter, l’ambiance qui a prévalu dans la salle plénière pendant la Conférence et, du reste, lors des interventions des Etats tout au long du processus. Comme je l’ai dit, la violence verbale de certains Etats, leur agressivité, leur volonté de ne pas supporter quelque expression de diversité que ce soit de la part d’ONGs, qui ne fut pas la « diversité » que l’on voulait entendre, c’est-à-dire, celle qui doit exister dans des sociétés démocratiques mais aucunement chez eux… Pendant l’une des réunions préparatoires, la Présidente libyenne s’est acharnée pour refuser la parole aux ONG. Il a fallu une journée entière de pressions de la part de l’UE, plus une réunion spéciale du Bureau pendant le déjeuner (mais qui a duré 4 heures !) pour qu’elle change enfin d’avis Je dois décrire cela comme une ambiance totalitaire. C’est pourquoi, une fois que j’avais pu faire notre Déclaration orale à nous (malheureusement le dernier jour), j’ai dû sortir, ne supportant plus cette oppression. Pour revenir aux minorités, les Dalits constituent un cas à part. Leurs ONG ont été accréditées, après des protestations de l’Inde, parce que les pays islamiques s’accordent pour que l’on attaque l’Inde, du moins verbalement, et les pays démocratiques s’accordent pour que des victimes prennent la parole. Par contre, la cause des Dalits n’est pas plus mentionnée dans le nouveau document que dans celui de Durban. En effet, l’Inde soutient toujours les positions de l’OIC, et il ne faut donc pas aller trop loin, n’est-ce pas ? Quant au reste, les § qui mentionnent les femmes sont d’un vide désespérant. Aucune mention d’une possibilité de droit des femmes à l’égalité, aucune ! Ce mot d’égalité est proscrit pour elles. On se déclare contre les violences faites aux femmes, mais en restant assez vague. Peu de droits spécifiques sont nommés, à fortiori pas celui du libre choix de l’orientation sexuelle. Petite anecdote : au cours de l’une des réunions préparatoires, le délégué égyptien, tout rouge, avait littéralement hurlé de rage lorsque l’Union Européenne avait voulu insérer ce droit. Il a clamé que l’on ne pouvait pas le mettre « puisque cela constituait un crime dans tous les pays musulmans ». Outre la faiblesse de sa logique, il se trompait et je me suis offert un autre moment de plaisir en allant le lui dire après. En lui expliquant que cela ne fut pas le cas en Tunisie, je l’ai rendu encore plus apoplectique. Un diplomate arabe a exprimé sa satisfaction que le nouveau document spécifiait bien la lutte contre « l’incitation à la haine religieuse » ainsi que contre les « nouvelles formes de stéréotypes [§ 12] et de profilage raciaux [§ 102] ». Il avait raison. Il faut être diplomate français pour feindre de croire que la liberté d’expression y est sauvegardée. Les § 13 et 69 lui règlent son compte en assimilant une apologie de la haine religieuse à une incitation à la discrimination. J’ai été un peu réconfortée en lisant dans le journal britannique, {The} {Independent}, deux articles par Johann Hari, un journaliste et écrivain écossais de gauche. Il n’a pas écrit sur la Conférence d’examen de Durban mais, des mois auparavant, sur la manière dont l’ONU avait totalement inversé le mandat du Rapporteur spécial sur la liberté d’expression. Au lieu d’exposer ceux qui empêchent la liberté d’expression, y compris les religions, il doit maintenant rechercher et condamner « les abus de la liberté d’expression », y compris « la diffamation des religions et des prophètes ». Malka explique cela de façon plus approfondie dans son livre mais, étant donné l’omerta sur le sujet dans les médias en France, j’ai été réconfortée de voir la place importante accordée aux 2 articles de Hari (une page entière chaque fois) à Londres. Particulièrement insupportables sont les remerciements proférés dans le document (§ 30) au Rapporteur spécial, Doudou Diène, pour « son rôle important sur les formes contemporaines de racisme ». Il a en effet fait bien avancer le dossier sur le blasphème et la diffamation des religions et, en particulier, l’islam. C’est l’un des principaux fossoyeurs à l’ONU de la liberté d’expression. La suite logique à son travail est la confirmation, dans le § 125, de la poursuite de « l’élaboration de normes internationales complémentaires ». On y constate que « le Comité spécial sur l’élaboration de normes internationales complémentaires a tenu sa première session et a adopté une feuille de route en vue de l’application intégrale du § 199 du Programme d’Action de Durban ». Dans son travail, entre autres, ce Comité avait déterminé que l’antisémitisme contemporain signifiait la discrimination contre les Arabes, voire contre les musulmans. Ce travail sert surtout à justifier la transformation de la Déclaration Universelle des Droits Humains en une série de droits plus conformes à la charia et à la Déclaration des droits de l’homme en Islam, élaborée au Caire le 5 août 1990. Le processus de sape de la Déclaration Universelle est en marche à l’ONU. Des décisions concernant la critique de religions et, « en particulier, l’Islam » ont pu être exprimées de façon moins évidente dans le document final de Genève, mais elles avaient déjà été adoptées au Conseil des Droits Humains et à l’Assemblée Générale de l’ONU et, peu de pays ont émis des objections formelles. On peut signaler le Canada, qui le fait régulièrement. Un dernier mot sur ce document de Genève : beaucoup plus que celui de Durban, il prévoit tous les mécanismes et les instruments juridiques par lesquels les deux documents sont assurés de vivre et de servir, au sein des structures de l’ONU, les buts, non pas du combat antiraciste, mais ceux de leurs auteurs. Entre autres, les § 126, 130, 136 sont clairs à ce sujet. La « victoire » dont se targuait la France à Genève (et depuis) est une défaite écrasante pour les sociétés démocratiques, pour l’égalité de genre, pour l’égalité entre les peuples et donc pour la lutte antiraciste. Merci. Bernice Dubois