Extraits de la Conférence internationale “Le terrorisme contre les droits humains universels” (III) : Contributions de Michèle Vianès et Nabile Farès

{{Nous poursuivons la publication des extraits de la Conférence Internationale du 23 novembre 2008 avec deux contributions importantes faites dans le cadre de la table ronde “Quelles attaques de l’universel ?” . Michèle Vianès, Présidente de Regards de Femmes, militante pugnace et rigoureuse de la défense des droits des femmes et de la laïcité républicaine, explore le sens profond de l’Universel. Nabile Farès, écrivain et psychanalyste se penche sur le processus meurtrier de l’attentat dit “suicide” . Leurs approches différentes sont également précieuses au débat autour de la résistance à la légitimation du terrroisme.}} _________________________________________________________ {{ Michèle Vianès Le terrorisme violation majeure des droits humains Quelles attaques de l’Universel ?}} Je remercie le Mouvement pour la paix et contre le terrorisme, en particulier Huguette Chomski, d’organiser tous les ans un colloque contre le terrorisme, cette violation majeure des droits humains et de m’inviter à y intervenir . L’an dernier j’avais axé mon intervention sur les principes politiques fondamentaux indispensables pour lutter contre la propagande des idéologues terroristes afin d’abattre les totalitarismes, les intégrismes, et autres fanatismes. Tous nécessitent claustration intellectuelle et crédulité d’adeptes dont l’obéissance au chef est sans limite et inconditionnelle J’avais mis l’accent sur la nécessité de différencier la liberté de penser, qui ne se délègue pas, des libertés individuelles dans l’espace commun, indissociables de l’égalité, et qui ont donc pour limites la liberté de l’autre. Ainsi les goûts et choix personnels se distinguent des droits que la collectivité a l’obligation d’accorder aux citoyens De même toutes les opinions ne se valent pas et ne s’équivalent pas, elles n’ont pas la même légitimité. L’esclavage a longtemps été considéré comme une situation normale, dans la bible puis le coran, en Afrique, en Europe et tardivement encore aux Etats-Unis. Les besoins d’un groupe ne justifient pas la servitude d’autres humains. « Si on ne peut cultiver les Antilles qu’avec des esclaves, il faut renoncer aux Antilles » (Victor Schcelcher) En conclusion, je rappelais que la paix n’est possible que si on est libre dans sa tête et si on accepte mutuellement l’autre. Face aux pseudo-croisades sans débouchés, à l’humanitaire lacrymal, il convient d’agir pour un développement des droits humains universels. En continuité avec l’argumentation développée l’an dernier, puisque cette année, nous célébrons son 60° anniversaire, il est indispensable de rappeler le sens de la Déclaration universelle des droits humains et son utilité. Le terreau des intégrismes repose sur la culture du ressentiment, la haine de l’Autre et l’exacerbation des différences. Pour détruire ce terreau, il convient de distinguer particularismes et universel, cultures et culturalisme. – {{ L’individu entre Universel et particularisme}} L’universel désigne ce qui est commun à tous les êtres humains, l’aptitude à penser, aimer, souffrir. Il n’est pas la négation du particulier, mais permet d’émanciper chaque personne de toute tutelle oppressive et d’assumer le particulier de façon non fanatique. L’Universel est une référence émancipatrice. C’est penser les conditions de la concorde, alors que les particularismes, s’ils veulent s’imposer comme identité collective, politique, sont exclusifs: coutume contre coutume, croyance contre croyance. De trop nombreux pays ont signé la Déclaration universelle des droits de l’homme en émettant des réserves, alléguant coutumes, traditions théocratiques ou politiques du pays. Ainsi ils ont maintenu les servitudes dénoncées dans les textes internationaux, et ont fait entériner, par le droit international, des dénis de droit et dignité aux personnes, en fonction du sexe, de l’origine ethnique, des croyances religieuses ou des opinions philosophiques. Ce qui leur permet aujourd’hui de refuser les principes universels parce qu’occidentaux. Le scandale est atteint lorsque dans des pays de droit, ceux-ci ne sont pas reconnus à des groupes de personnes, en fonction du sexe, de l’origine ethnique, des croyances religieuses ou des opinions philosophiques. Lorsqu’en France, certains exigent ou acceptent la séparation entre hommes et femmes, le marquage des femmes, au nom d’une religion, c’est bien nier l’égalité en droit et dignité des êtres humains. Le relativisme culturel est du racisme, puisque cette argutie est utilisée pour interdire à des personnes d’avoir accès aux principes universels de dignité et de droit humain, sous prétexte que dans leur pays de naissance ou d’origine familiale, ces principes ne sont pas reconnus. La tolérance, le fait du prince, montre ses limites puisqu’elle est utilisée pour faire accepter l’intolérable sous prétexte de « relativisme culturel ». – {{Culture et culturalisme}} Ainsi la culture est paradoxalement instrumentalisée pour empêcher le vivre ensemble. La confusion volontaire entre culture et tradition permet d’enfermer les membres des communautés. Le respect de la culture d’origine empêcherait tout échange avec l’autre, ce serait trahison. Si toutes les cultures sont irréductibles les unes aux autres, sur quelles valeurs fonder le vivre ensemble ? « Le culturalisme s’oppose à l’universalisme en ouvrant la porte au relativisme intégral. » (1) Alors que le métissage culturel est à la fois reconnaissance de ses appartenances et mouvement vers l’extérieur, les dérives du culturalisme réduisent l’individu à son groupe d’appartenance. Chaque personne appartient à plusieurs univers culturels et participe dans sa singularité de sujet à une communauté nationale, régie par un contrat social dans les pays de droit. Ce socle permet à chaque individu de multiplier ses identités parallèles et successives, en évitant les conflits psychiques et en privilégiant l’intérêt général sur les particularismes. L’interculturel ne peut pas se passer de l’adhésion à des valeurs communes ni faire l’économie du conflit. C’est à travers le débat que peut se dégager une cohérence, un accord sur une politique publique commune qui concilie universalité et individu particulier. L’interculturel est l’éducation à la solidarité et non enfermement dans des traditions archaïques. La culture individuelle, la construction personnelle de l’identité sur laquelle était fondée la modernité cèdent la place à la confusion entre nature et culture. La culture, se « décline au pluriel », se construit par enrichissement mutuel, par l’ouverture d’esprit et partage avec l’autre des connaissances de l’humanité, de la création artistique, des savoirs, des arts appliqués, de la cuisine. La critique du monde tel qu’il est devient affirmation de l’existence, « l’individu, s’emploie à chercher refuge dans des groupes restreints qui tels une niche vont lui apporter une sûreté que ne lui donne plus son identité ».(2) Il n’est plus capable de se construire lui-même. « Si l’individu est plus agi qu’acteur, plus soumis que maître, le « je pense » remplacé par « je suis pensé » qui semble bien convenir au développement de la mode, aux pratiques de mimétisme et autres formes de rituels ou d’attitudes « animales » régissant la vie en société » (3) alors l’être humain devient un objet, interchangeable à merci. L’image accentue « l’idéal, communautaire. Objet et image, leur développement conjoint doit être considéré comme les symptômes de la fin de l’individu. L’un et l’autre poussent à l’imitation, à la viscosité groupale. On peut rattacher à cet ordre organique tous les mouvements ethniques, la recrudescence des mouvements religieux et plus précisément charismatiques ou fanatiques, sans oublier des phénomènes comme le réveil de l’islam. Ce tribalisme et la religiosité ambiante qu’il impulse, son aspect groupai est essentiellement dû au partage d’objets-images de plusieurs ordres qui confortent le corps social.»(4). Elles rendent possible le terrorisme qui se caractérise par l’obéissance aveugle à des chefs, la servitude volontaire, le conditionnement de fidèles au mépris de la vie, la leur et celle des autres, amis ou ennemis. Et c’est ainsi que se propagent les idéologies idéalisant le bonheur dans l’au-delà, avec la mort comme moyen d’accéder au bonheur éternel, chaque dieu reconnaissant les siens. Michèle Vianès {Notes} : I Pascal Ory, la culture comme aventure, éditions complexes p.19 2 Michel Maffesoli, La transfiguration du politique la tribalisation du monde, Biblio essais, 1992, p.169 3 Michel Maffesoli, La transfiguration du politique la tribalisation du monde, Biblio essais, 1992p.166 41d p.168/169 ________________________________________________________ {{Nabile Farès Scène imaginaire et confusion de l’acte}} Je vais immédiatement préciser que je ne suis pas un «spécialiste»du terrorisme, c’est-à-dire que je ne suis pas tenu de produire une définition du terrorisme, ou une histoire du terrorisme. Je tiens à parler,d’un point de vue psychanalytique, d’actes, qui, au-delà de l’effroi, de la stupeur, inscrivent du meurtre, du crime dans et contre une population civile banale, dans des lieux que l’on dira familiers, ordinaires de la vie civile commune, symboliques de cette vie commune, lieux de travail, de loisirs, de passages, d’échanges… de cette vie civile ordinaire…. – Ces actes, à ce titre, sont des actes publics, effectués surce que l’on peut dire métaphoriquement et, ces mots sont extrême-ment importants car il désignent déjà le caractère profondément ima-ginaire et hypnotique de l’acte effectué sur : « la scène du monde »comme si le monde était une scène, une fiction, en laquelle viendrai-ent se transformer des personnes en actrices et acteurs d’un drame commencé bien avant leur entrée en scène, sur ce théâtre que serait le monde. Je me contenterai de parler ici que dece moment où une personne, femme, homme, jeune fille, jeune homme, se transforme en une autre, un autre, meurtrière, meurtrier, sur unescène commune, en un contexte commun, une scène publique que l’on peut dire singulière et collective, de même que l’acte est singulier etcollectif. C’est pourquoi il s’inscrit toujours dans des contextes etforces animés par des groupes, des associations, des institutions, pouvoirs politiques, militaires, civils, aujourd’hui, se disant « religieux », faisant de l’acte non pas simplement un meurtre, un crime, un assassinat – ce qu’il est dans son acte sur soi-même et les autres, incluant la possibilité, la certitude et l’incertitude d’une mort de soi et des autres – mais, plus terriblement, une façon d’accéder à cette scène d’un meurtre originaire de soi et de l’autre, comme si le meurtre mettait un terme à un trop plein, un excès et un manque d’histoire commune : trop plein extérieur, trop de vide, d’évidement interne. – Scène de l’acte permettant ce passage entre le rien de soi, ladégradation de soi et le tout imaginaire de l’autre ; cet autre qui déci-derait pour vous, à votre place et indiquerait ce que vous devez faire pour que l’histoire commune, les liens communs d’histoires, devien-nent le sanctuaire d’une loi sacrificielle qui exigerait ce sacrifice demort ; une loi de sang et non de vie, comme si nous n’étions pas encore parvenu à comprendre le geste suspendu d’Abraham d’un nonsacrifice, d’un renoncement au meurtre réel exécuté dans la confusion d’un rapport à la loi d’être et de coexistence : le don de la vie trans- formé en don, en un pouvoir, une délégation, une permission d’un donner la mort. C’est au moment de cette grande institution d’une loi qui faitle sacrifice du sacrifice (c’est pourquoi il n’existe pas, contrairement à ce qui se dit – se nomme encore – de sacrifice d’Abraham, ni de sacrifice d’Isaac) que se manifeste une grande fragilité psychique quirend possible la manipulation du sujet humain en le rendant actrice etacteur d’une loi de mort qui n’a pas encore fini avec ce deuil du meurtre, du crime, avec la mémoire et l’histoire traumatique du sacrifice des générations dans les générations. C’est pourquoi on assiste aujourd’hui à une ampleur tragique et extrême entre les générations de cette mise à mort de soi etde l’autre à partir de ce déni instantané de l’acte « meurtre », du meurtre et son recouvrement en acte «héroïque » pour autant que l’acte héroïque, réclamé, revendiqué, serait un dépassement, un franchissement de cette toute-puissance accordée à l’autre, que l’autre s’accorderait – imaginairement – à lui-même. Dans l’acte même de produire du meurtre existe sa négation, cette traversée imaginée, hallucinée, héroïque, reconnue, de la mort, conduisant à cette tragédie extrême qui emporte, anime, tue des ado- lescentes et adolescents prises et pris dans des formations et confu-sions d’idées et intentions qui sont des endoctrinements plaçant les sujets, enfants, adolescentes, adolescents, femmes, hommes, dans une hypnose et manifestation guerrière, spectaculairement propres à déve- lopper un imaginaire et une symbolique de l’acte meurtrier qui, à ce titre, fait basculer l’actrice, l’acteur, dans un ailleurs triomphant, une présence explosive, destructrice, pulvérisante de leur corps et acte, créant ainsi une équivalence meurtrière entre l’acte, l’actrice, l’acteur, le reste du monde, « sa scène de monde » devenue responsable et actrice, auteure de cet acte : l’autre étant alors « cause » de l’acte et meurtrier à son tour …- {{Acte terroriste et crime contre l’humanité}} De l’acte terroriste, en tant que scène réelle, ( attentats, corps déchiquetés, mutilés, morts) scène imaginaire et symbolique, la psychanalyse peut dire quelque chose en-deça et au-delà de l’émotion, l’indignation, la condamnation. Il est utile de rappeler pour l’analyse, la saisie, la dénomination de cet acte – comment nommer cet acte, puisque l’attentat dit terroriste produit de la terreur, de l’effroi en précipitant la mort, non pas métaphysiquement, en introduisant la mort, non pas théologiquement, mais en opérant une mise à mort, en tuant dans un lieu public, civil, parfois, aussi, policier, militaire – on dira, l’acte terroriste est tissé, pris de toutes sortes de langages, de langues, de mots : « un attentat a été commis contre la gendarmerie de…, le commissariat de… » mais, on dira… « commis dans la rue, dans un café, dans une synagogue, une mosquée, un temple, une école… » montrant ainsi que l’acte terroriste n’est pas un acte qui échappe au langage, à un langage de la réponse, de l’atteinte corporelle et de la destruction – il est donc utile de rappeler, devant la diversité symbolique de cet acte que l’acte terroriste de violence et de destruction de la culture et la vie relève d’un alliage persistant dans l’histoire des civilisations – et, aucune des civilisations n’est à l’abri de l’acte terroriste de mort et de destruction – de vengeance et de haine qui met cet acte au ban, à l’écart du pacte juridique de connaissance et de reconnaissance, l’inscrivant ainsi dans des formes extrêmes de l’atteinte de la vie, que sont le meurtre, le crime, l’assassinat, susceptibles de le transformer en des formes de la violence et croyance idéologique, (qu’elles soient théologiques, politiques, singulières, de groupes ou étatiques) le présentant alors comme actes de martyrs, de sacrifices, de jouissances que l’on pourrait dire extatiques et mystiques propres à faire oublier ou sanctifier ou, à l’extrême, récompenser la démesure de cet acte. En portant atteinte à la vie humaine, en détruisant, donnant la mort, l’acte terroriste n’échappe pas à ces trois désignations de « meurtre », « crime », « assassinat » ; en pensant et en croyant – à cette limite, la croyance serait un système de pensée dont on peut considérer de nombreuses fois le processus pour délirant – en pensant, en croyant que par la mort, le don de mort, la mise à mort, le monde va changer, va être puni, rédempteur, l’acte terroriste meurtrier s’inscrit dans une forme logique sacrificielle et, souvent, hélas, héroïque ; l’acte terroriste renverse les principes du rapport entre la vie et la mort, faisant de celle-ci un don et une dette payée à la mort de l’humain plutôt qu’à l’humanité de la vie. La multiplicité et l’amplitude géopolitiques, culturelles de l’acte terroriste témoignent d’un moment périlleux des conflits exacerbés des violences historiques, politiques, économiques, culturels d’aujourd’hui, pour autant que l’attentat terroriste s’inscrit de plus en plus dans l’histoire des générations, qu’il évolue dans l’endoctrinement de l’enfance à l’adolescence : il est devenu un acte, une arme idéologique matérialisée de guerre et, comme tel, relève aujourd’hui des catégories, procès et procédures qui concernent les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Scène singulière et collective, l’acte terroriste de mort est une atteinte radicale de la vie. Nabile Farès, écrivain et psychanalyste