A lire : Marc Sageman

Etude sur les terroristes-suicide (Source : National Review Online 16/9/03)Le 16 septembre, la National Review Online a publié une étude de Robert Pape, de l’Université de Chicago. M. Pape a analysé toutes les attaques des terroristes-suicide dans le monde de 1980 à 2001. Il démontre que dans 95% des cas, ces attaques ont été exécutées dans le cadre d’un plan politique organisé à l’avance, afin d’atteindre des objectifs stratégiques déterminés et non comme une action désespérée.Il démontre également que toutes ces attaques ont été dirigées contre des régimes démocratiques :- Le Hezbollah contre les Etats-Unis et la France, au Liban en 1983.- Le Hezbollah et le Hamas contre Israël.- Les terroristes Tamoul contre le Gouvernement du Sri Lanka.- Les Kurdes contre la Turquie.- Les rebelles Tchétchènes contre la Russie- Les rebelles du Cachemire contre l’Inde.- Al Qaeda contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001. Marc Sageman est un chercheur indépendant qui se spécialise dans l’étude du terrorisme. Il est aussi président du cabinet d’experts-conseils Sageman Consulting LLC, qu’il a fondé à Rockville (Maryland). Chargé de recherche à l’Institut de recherche sur la politique étrangère sis à Philadelphie (Pennsylvanie) et attaché au Centre d’études stratégiques et internationales, sis à Washington, M. Sageman est titulaire d’une licence de l’université Harvard (1973) ainsi que d’une maîtrise et d’un doctorat en sociologie politique décernés par la New York University.M. Sageman est l’auteur d’un ouvrage publié en 2004 par University of Pennsylvania Press intitulé Understanding Terror Networks (Comprendre les réseaux terroristes) et dans lequel il livre ses observations sur un échantillon de militants d’Al-Qaïda issus du Moyen-Orient, d’Asie du Sud-Est, d’Afrique du Nord et d’Europe. Il a également présenté le fruit de ses travaux à la Commission nationale d’enquête sur les attentats du 11 septembre et il fournit à divers organismes publics des services de consultance en matière de terrorisme.La vague actuelle d’attentats-suicides liés à Al-Qaïda ne s’explique pas facilement. Dès lors, il circule toutes sortes d’idées reçues au sujet de cette forme de terrorisme. Les remarques ci-après, qui battent en brèche ces stéréotypes, se fondent sur des données biographiques recueillies au sujet de plus de quatre cents militants d’Al-Qaïda.Mythe – La pauvreté engendre le terrorisme.Réalité – La grande majorité des terroristes étudiés dans cet échantillon faisaient résolument partie de la classe moyenne, et ceux qui occupaient une position dirigeante étaient issus de la classe supérieure. C’est le cas de la plupart des mouvements politiques, y compris des mouvements terroristes, et Al-Qaïda n’échappe pas à la règle. Al-Qaïda a beau justifier ses opérations en prétendant agir au nom de ses frères démunis, le fait est que ce réseau est loin d’avoir une expérience directe de la pauvreté.Mythe – Les terroristes sont des jeunes gens naïfs.Réalité – La moyenne d’âge des adhérents aux organisations terroristes est d’environ 26 ans. Ces jeunes adultes, de sexe masculin, sont pleinement responsables de leurs actions. Toutefois, peut-être en raison de l’importance croissante de l’internet qui séduit tant les jeunes, la moyenne d’âge évolue à la baisse. Sur internet, ils sont exposés aux mythes entretenus par Al-Qaïda et qui inspirent certains d’entre eux à commettre des actes en son nom, même sans avoir jamais été en contact direct avec des membres de ce réseau ou sous leur direction. Au cours des deux dernières années, la moyenne d’âge des terroristes affiliés à Al-Qaïda est passée à 22 ans environ.Mythe -Les madrassas, ces écoles coraniques qui prêchent la haine de l’Occident à leurs élèves, pensionnaires, font subir un véritable lavage de cerveau aux jeunes musulmans et les poussent à devenir des terroristes. Réalité – Dans mon échantillon, 13 % seulement des terroristes avaient fréquenté une madrassa, et cette pratique était propre à l’Asie du Sud-Est, où deux maîtres, Abdullah Sungkar et Abu Bakar Baasyir, recrutaient leurs meilleurs élèves pour former la clé de voûte de la Jamaah Islamiyah, le mouvement affilié à Al-Qaïda en Indonésie. Autrement dit, 87 % des terroristes qui faisaient partie de mon échantillon avait suivi un enseignement laïc.Mythe – L’islam radicalise les jeunes musulmans pour faire d’eux des terroristes et les pousser à exporter la violence dans les pays occidentaux.Réalité – Dans mon échantillon, la vaste majorité des terroristes d’Al-Qaïda étaient issus de familles aux convictions religieuses très modérées, voire de familles résolument laïques. De fait, 84 % des terroristes avaient été radicalisés dans des pays occidentaux, et non dans leur pays natal. La plupart étaient venus en Occident pour y faire des études et, à leur arrivée, ils n’avaient aucune intention de devenir terroristes. En outre, 8 % étaient des chrétiens qui s’étaient convertis à l’islam : ce n’est donc pas à leur culture que l’on peut imputer le lavage de cerveau qui pousse à la violence.Mythe – Les terroristes d’Al-Qaïda sont peu instruits, et c’est l’ignorance qui fait d’eux des militants.Réalité – Environ les deux tiers des terroristes de mon échantillon avaient fait des études supérieures, alors que c’était le cas de moins de 10 % des jeunes de la collectivité dont ils étaient issus. Bien qu’instruits, ils ne possédaient pas beaucoup de connaissances en matière de religion ; par contre, un grand nombre d’entre eux avaient fait des études d’ingénieur, ce qui les rendait deux fois plus dangereux. Le caractère sommaire de leur instruction religieuse les rendait particulièrement sensibles à une version extrême de l’islam, et ils savaient fabriquer des bombes.Mythe – Les terroristes d’Al-Qaïda candidats au suicide sont des hommes célibataires sans responsabilités familiales.Réalité – D’aucuns arguent que la frustration sexuelle des jeunes musulmans liée au manque d’occasions dans ce domaine débouche sur le terrorisme kamikaze, qui promet des récompenses célestes, dont 72 vierges. En fait, les trois quarts des terroristes d’Al-Qaïda sont mariés, et les deux tiers d’entre eux ont des enfants (beaucoup d’enfants, même). Ce paradoxe s’explique par leur volonté d’avoir beaucoup d’enfants qui poursuivront le djihad, alors qu’eux-mêmes se sacrifient pour leur cause et leurs camarades.Mythe – Les terroristes qui se rallient à Al-Qaïda agissent sous l’effet du désespoir, n’ayant pas de compétences monnayables sur le marché du travail.Réalité – Environ 60 % des terroristes d’Al-Qaïda dans mon échantillon exerçaient une profession libérale ou para-professionnelle. La situation commence à changer, les terroristes de la nouvelle génération étant plus jeunes et moins qualifiés que leurs aînés.Mythe – Les terroristes d’Al-Qaïda sont des criminels avérés.Réalité – Très peu de terroristes d’Al-Qaïda avaient un casier judiciaire. Les dix-neuf terroristes qui ont pris part aux attentats du 11 septembre aux États-Unis avaient tous un casier judiciaire vierge, ici comme à l’étranger. La situation commence à changer, en particulier en Europe occidentale, où les nouvelles recrues d’Al-Qaïda sont issues de la génération des exclus, ces jeunes qui se tournent vers la petite délinquance ou la vente de stupéfiants pour joindre les deux bouts.Mythe – Les terroristes d’Al-Qaïda, en particulier ceux qui commettent un attentat-suicide, sont tout simplement désaxés, ou alors ils souffrent d’un trouble de la personnalité.Réalité – L’échantillon n’a révélé quasiment aucun déséquilibre mental. Cela se comprend dans la mesure où les personnes atteintes de troubles mentaux sont généralement exclues des organisations clandestines pour des raisons de sécurité.Mythe – Les terroristes d’Al-Qaïda sont recrutés par des cadres charismatiques qui recherchent des personnes solitaires et vulnérables, des victimes par excellence.Réalité – Les terroristes sont plus souvent recrutés par des amis et des parents que par des agents de recrutement spécialisés en la matière. Environ les deux tiers de l’échantillon étaient liés par des liens d’amitié avant même d’envisager d’adhérer à une organisation terroriste. Ils se sont radicalisés dans un groupe et c’est ensemble qu’ils ont décidé de devenir membres d’Al-Qaïda. Le meilleur exemple est celui du groupe de Hambourg, qui a dirigé l’opération du 11 septembre. Huit amis ont fait cause commune et se sont rendus en Afghanistan en deux vagues. Les terroristes de la première vague sont devenus les pilotes, et ceux de la deuxième vague leur ont servi d’appui. Le cinquième des terroristes de l’échantillon avaient été recrutés par des membres de leur famille. Ils avaient des parents proches – un père, des frères ou des cousins – qui faisaient partie d’Al-Qaïda. Ils avaient tout simplement rejoint des membres de leur famille.Qu’est ce qui motive le terroriste global et nihiliste ?” “On ne peut pas comprendre le terrorisme de façon individuelle : c’est un phénomène de groupe.La stratégie-utopie est toujours la même depuis dix ans : créer un Etat islamiste salafiste dans les pays arabes pour rétablir la communauté originelle musulmane du temps du prophète. Ne parvenant pas à renverser les régimes locaux parce que l’ennemi lointain les supportait, les leaders ont opté au début des années 90 pour l’expulsion des Américains du Moyen-Orient.J’ai identifié ainsi 400 personnes, leurs points communs et découvert que tous les clichés véhiculés ne fonctionnent pas. Ils ne sont pas pauvres mais viennent de classes moyennes ou hautes. Ils sont issus de familles unies, souvent mariés et pères de famille. Ils joignent le djihad vers ans. 26Ce ne sont pas de jeunes naïfs, ils ont souvent fait des études supérieures. Ils ont des responsabilités professionnelles et les trois quarts sont qualifiés. Ce ne sont pas des gens vulnérables au lavage de cerveau. Je n’ai pas détecté de maladies mentales. Ce ne sont pas des criminels.”