Après la Conférence Internationale contre le Terrorisme MOHAMED SIFAOUI nous accorde une longue interview

{D’après les responsables du renseignement et de la sécurité, le France fait face à une menace terroriste élevée. Alors que s’achève, le procès en assises de Rachid Ramda, comment faut-il selon vous apprécier le danger représenté par Al Qaida au Maghreb ?} La France est ciblée par les islamistes depuis une vingtaine d’années. La première fois que j’ai entendu des islamistes proférer des menaces contre la France, c’était, en Algérie, au milieu des années 1980, bien avant l’arrêt du processus électoral de 1992. Mustapha Bouali disait dans ses prêches qu’il fallait s’attaquer au pouvoir algérien, parce qu’il ne respectait pas la charia, et aux autorités françaises, pour leur soutien à ce gouvernement.Depuis, ces menaces n’ont pas cessé, venant d’islamistes algériens , puis cela s’est élargi à des islamistes maghrébins puis à des islamistes à vocation internationale.Pourquoi la France ?Il faut revenir à l’idéologie islamiste. La France représente tout ce que les islamistes détestent.La France est le pays qui propage l’idée de laïcité alors que, pour eux, religion et État ne doivent faire qu’un.La France symbolise aussi cette démocratie qu’ils honnissent tant et qui donne la souveraineté au peuple. Or, là aussi, selon les islamistes, la souveraineté ne doit revenir qu’à Dieu et à Dieu seul. La France est le pays des Droits de l’Homme alors que pour ces fanatiques, il n’existe d’autres Droits pour l’Homme que ceux que Dieu lui a donnés. Il y a bien sûr aussi des raisons historiques, le statut d’ancienne puissance coloniale. Et puis des raisons politiques : la France entretient de bonnes relations avec des régimes considérés, très souvent à juste titre, comme corrompus. Il faut donc sanctionner le soutien apporté à ces régimes arabo-musulmans. Enfin la France lutte contre le terrorisme, traque les terroristes, sanctionne sur le plan judiciaire ceux qui font des séjours en Irak, en Afghanistan, en Tchétchénie. Et il y a la participation de la France à la guerre en Afghanistan. Il serait donc erroné de minimiser cette menace, tout comme il serait erroné d’être alarmiste. Il faut en être conscient, demeurer vigilant tout en restant serein. Il faut essayer d’anticiper sur la démarche des terroristes. {Mohamed Sifaoui, des rumeurs sont colportées sur votre compte, on cherche à vous présenter comme un agent des services secrets algériens. Pouvez-vous nous éclairer sur la bataille qui se poursuit entre vous, François Gèze(1) et Habib Souaïdia ?}Pour moi, elle ne se poursuit pas. La bataille a été réglée devant les tribunaux français, au pénal et au civil. Elle a été tranchée en première instance et en appel. Au pénal, François Gèze m’avait poursuivi, ainsi que l’hebdomadaire Marianne, pour diffamation, après l’interview dans laquelle je déclarais en substance qu’il était un menteur et un manipulateur qui avait bâti des mensonges sur un socle de vérité. Il a été débouté en première instance et en appel par la 17 ° Chambre correctionnelle. Les documents et les témoignages que j’ai versés au débat on permis de clarifier les choses. Au civil, j’ai poursuivi la Découverte et Habib Souaïdia. Pourquoi ? J’ai été l’initiateur, le concepteur et le rédacteur du livre « La sale Guerre » auquel j’ai donné son titre. J’ai passé un contrat avec cette maison d’édition qui me considérait comme co-auteur ainsi que Habib Souaïdia de ce qui allait devenir « la sale guerre ».C’est moi qui ai sollicité François Gèze et qui lui ai présenté Habib Souaïdia. Il existe, selon vous, beaucoup d’agents des services algériens qui aident des déserteurs ou des dissidents – c’est ainsi que se présente Souaïdia – à faire entendre leur voix ? C’est moi qui ai présenté cet ancien militaire à une multitude de journalistes français alors que personne ne le connaissait. Un agent aurait participé à le faire taire non pas à le médiatiser.En réalité, l’affaire est simple à comprendre lorsqu’on est intellectuellement honnête. A la fin de la rédaction du livre, que j’ai écrit tout seul dans sa version initiale, je me suis rendu compte que François Gèze voulait apporter des modifications pour évacuer les crimes des islamistes et grossir le trait pour décrire les exactions commises par les services de sécurité. Je me suis opposé à cela. C’était malhonnête, contraire à tout ce que représente pour moi le journalisme.Un exemple : l’attentat de l’aéroport d’Alger. Il a fait des victimes civiles, il y a eu des corps mutilés, déchirés. J’ai suivi le procès. Le Directeur de cabinet du n° 1 du FIS a reconnu être l’instigateur de cet attentat, il a été condamné à mort. Mais François Gèze considère que cet attentat a été commis par les services secrets algériens. Pour lui, les islamistes sont de vaillants révolutionnaires. Les coupables des actes terroristes ne pouvaient être que les militaires. Relisez « La Sale Guerre ». Rien n’y indique que les islamistes ont tué des civils. Or ce n’est pas ce que j’ai vécu, Moi je voulais dénoncer à la fois les exactions des services de sécurité et les crimes des islamistes. Je me suis opposé à cette aventure propagandiste qui dédouanait les islamistes y compris idéologiquement. Pour le courant représenté par François Gèze, l’islamisme n’existe pas, c’est une création des services secrets algériens. C’est une démarche qui rappelle celle de Thierry Meyssan.D’ailleurs observez la dernière sortie de Gèze. Il affirmait récemment que la récente reprise des attentats en Algérie est le fait des services algériens et des…Américains. C’est pour dire que Gèze – Meyssan : même combat, même objectif. Ils cherchent à tout prix à dédouaner les islamistes.Ceux qui cherchent à me discréditer par la rumeur ont une approche idéologique. Ils ont une haine terrible contre moi en raison de mon engagement contre l’intégrisme musulman. Ils détestent mes enquêtes journalistiques qui mettent la lumière sur le vrai visage de ces fascistes intégristes qu’ils ne cessent de dédouaner. Pour moi, les alliés non-musulmans des islamistes sont les pires de tous, ils sont des alliés objectifs du terrorisme. Et moi je serais un agent des services secrets algériens ! Un agent est par définition secret, discret, il évite de se distinguer. Quand on est agent des services secrets on ne défend pas un général ! Moi je l’ai fait, pour une raison de principe : on voulait utiliser le procès contre ce général Nezzar pour remettre en cause l’arrêt du processus électoral. Alors que pour le courant démocratique auquel j’appartiens, une Algérie dirigée par les islamistes était le plus grave danger. On a demandé que l’armée intervienne. J’ai commencé mon témoignage en disant à l’adresse du général « J’appartiens à une génération qui vous a toujours combattu »J’avais participé, en tant que jeune sympathisant de « l’Avant Garde » socialiste, aux émeutes de 1988 et c’est ce même général qui avait fait tirer sur nous !Mohamed Sifaoui agent du pouvoir algérien ! Ce pouvoir a condamné les caricatures, moi je les ai défendues. Il excuse les attentats commis contre les civils israéliens, moi je les condamne ! Le pouvoir algérien amnistie les islamistes alors que j’appelle à leur condamnation. Il fait la promotion d’un premier ministre islamiste alors que je ne cesse de le fustiger. Agent des services algériens ? Alors que le système algérien récompense ceux qui le servent, je ne peux même mettre les pieds dans mon pays d’origine et rendre visite à ma famille. Agent des services algériens ? Le pouvoir algérien a installé à la tête de l’État un président que je ne cesse de qualifier de salaud alors que tous ceux qui servent ce régime ne cessent de lui faire courbette.Enfin, je vous rappelle que j’ai témoigné, dans le cadre du procès des caricatures contre la mosquée de Paris, elle-même dirigée par ce pouvoir algérien auquel je serais censé appartenir. Je vous laisse trouver l’erreur !{Et maintenant, comment poursuivez-vous votre travail de journaliste ?}Je suis un journaliste engagé mais pas un journaliste malhonnête. Si je n’ai pas de preuves accablantes contre un islamiste je m’abstiens de l’accabler.J’ai de nombreuses interventions et mon blog est très visité mais j’aimerais créer un vrai média alternatif qui parle vrai sur le terrorisme. Pas facile mais il est important de libérer la parole, donc la riposte. {Justement, dans le cadre de la discussion qui a préparé la Conférence Internationale Contre le Terrorisme, vous avez comme nous, défendu la nécessité de nommer l’islamisme.}Oui, le phénomène existe, il faut le nommer. Ce que vous faîtes vous, MPCT, c’est très bien. Pour la Paix, c’est très bien. Contre le terrorisme, c’est très bien, toute personne sensée doit y souscrire. Mais c’est insuffisant. Il faut prendre le phénomène bien en amont, au niveau de l’idéologie islamiste. Certes, le terrorisme islamiste n’est pas le seul mais c’est celui qui présente le plus grand danger.Le terrorisme est toujours condamnable. Son utilisation par des courants politiques pour leur lutte est contraire au droit et à la morale. Le terrorisme basque ou corse est injustifiable et inexcusable. Mais le terrorisme islamiste, lui, a vocation à être un terrorisme de nihilisme, un terrorisme de négation de l’autre. Il n’a rien à voir avec une quelconque revendication. Sa particularité est d’être nourri par l’idéologie islamiste qui est la maladie de l’Islam et dont les premières victimes sont musulmanes. Cela commence au niveau de la menace. Pour effrayer, instaurer un climat de peur, parfois en visant l’ensemble d’une population, parfois en visant des personnes déterminées. Ce que vit Taslima Nasrren, c’est du terrorisme. Devoir regarder toujours derrière soi pour voir si on n’est pas suivi, se savoir traqué(e) …Moi, j’ai dû faire un travail sur moi-même , me fabriquer une carapace avant de me lancer dans la surexposition. Ceux qui parlent du terrorisme comme « arme du pauvre » devraient se demander pourquoi il n’a pas été utilisé par les Africains. {Certains de nos partenaires auraient préféré désigner « l’islamisme radical »} Pourquoi couper les cheveux en quatre ? D’ailleurs la radicalité n’est pas un concept dangereux. Le parti radical n’est pas considéré comme dangereux ! L’islamisme, le salafisme, c’est l’islam politique, l’instrumentalisation politique de l’Islam. Elle transforme la religion en arme de destruction massive. La bataille contre l’islamisme ne se terminera pas par une négociation autour d’une table. Sa fin devra être scellée comme l’a été celle du nazisme. Ceux qui pensent protéger les Musulmans en n’étant pas clairs dans la désignation de l’islamisme se trompent. S’ils se donnent la peine d’écouter parler des victimes musulmanes comme Cherifa Kheddar, ils entendront qu’elles ne mettent pas de gants. Nous, on parle de fascisme ! En d’autres termes, il ne faut pas chercher à comprendre avant de condamner. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas vécu quelques chose soi même qu’il faut hésiter à le condamner. Je ne viens pas en Europe en disant que je vais essayer de comprendre l’extrême droite. Je n’attends pas que le nazisme me touche moi pour le condamner. J’ai d’abord un point de vue d’être humain. C’est cela l’universalité. Considérer que les Musulmans ou les Arabes ne sont pas aptes à accéder à la modernité et que l’islamisme peut-être bon pour eux c’est une forme de racisme.{Cette année pas mal d’organisations se sont associées le 11 septembre à l’appel au rassemblement en hommage à toutes les victimes du terrorisme. Pensez-vous qu’il y ait un début de prise de conscience des enjeux ?}Peut-être. C’et aussi la première fois que le Parti Socialiste m’invite à donner une conférence lors de son université d’été. Mais il reste encore beaucoup de pédagogie à faire ! Et il y a des erreurs à éviter. Il ne faut pas utiliser des démarches contraires aux valeurs que nous sommes censés défendre. {Qu’attendez-vous de « l’Alliance Internationale Contre le Terrorisme » que nous avons décidé de constituer avec nos partenaires de la Conférence du 11 septembre ?}C’est important de donner naissance à quelque chose de solide.Je pense que pour être efficace, il faut effectivement créer un réseau international de la société civile pour combattre le terrorisme islamiste qui, lui, est international. Un réseau de veille, de dénonciation, de condamnation, de barrage intellectuel. Non pour traquer les terroristes, ce n’est pas notre rôle, mais pour traquer les idées qui aident à sa propagation : la justification, la légitimation, l’illusion que l’islamisme serait un projet à même de rétablir la justice dans un monde devenu très inégalitaire. C’est très important de constituer cette avant-garde de la société civile pour interpeller les pouvoir publics face à certains laxismes. Nous devons en faire un sujet d’actualité en permanence et apporter la contradiction aux idéologues du terrorisme. Il faut redoubler d’efforts. Ce n’est pas facile d’essayer de concurrencer des gens qui font parler d’eux quand ils tuent et menacent. Il faudra organiser des manifestations, des rassemblements, des colloques, des débats pour sensibiliser le médias et les élites avec clarté et pédagogie. C’est la vocation du Bureau International d’une telle Alliance. Même si je reste un électron libre, je suis partie prenante de ce combat. 1 Directeur des éditions La Découverte. Il a témoigné au procès de Rachid Ramda, cité par la défense. (NDLR)Propos recueillis par Huguette Chomski Magnis