Extraits de l’intervention de François Zimeray, Député Européen

Je vous prie d’excuser mon arrivée tardive : la mise à l’ordre du jour du Parlement Européen d’un point non prévu, la barrière de sécurité, m’a retenu à Strasbourg où je dois repartir immédiatement. « Mur » ou « barrière », peu importe. Personnellement je suis favorable à une séparation entre Israéliens et Palestiniens, prélude pour la paix. En créant cette association ,vous avez choisi de vous concentrer sur un point qu’il est très difficile de comprendre. Je n’en connais pas de plus difficile et je n’en connais pas de plus important. Je garderai le souvenir de ces années au Parlement Européen qu’il y a deux sortes de personnes : celles qui condamnent le Terrorisme, qui le combattent et celles qui le comprennent. C’est une ligne de partage essentielle. Le terrorisme est souvent condamné mais rarement combattu. Condamner le terrorisme est assez aisé, même si on a pu entendre dans l’enceinte du Parlement Européen à propos du Hamas « ce n’est pas du terrorisme, c’est de la résistance ». Le terrorisme est difficile à comprendre pour nous, Français, esprits cartésiens . Nous n’avons pas le logiciel qui nous permet de nous mettre à la place de ceux qui sont suffisamment fanatiques pour poser du bombes et frapper délibérément des civils ou plus encore, se faire sauter au milieu de civils. Et puisque nous ne résignons pas à ne pas le comprendre, nous apposons des explications : le désespoir, l’occupation… A elle seule, aucune n’est pertinente, aucune n’est moralement admissible. Si le terrorisme n’est pas compris, en réalité il est justifié. Je l’ai constaté avec beaucoup de douleur dans la plupart des propos parlementaires. « Je le condamne mais… ». C’est comme « Je ne suis pas raciste mais… » Cela me sépare de bien de mes collègues : dès lors que l’on commence à justifier le terrorisme, des gens dont je me croyais proche, avec lesquels je croyais être en communion, s’éloignent de moi, car je ne peux admettre que l’on recherche l’ombre d’une justification à ces actes épouvantables. Je me souviens, je me souviendrai toujours de la visite qu’ont rendue au Parlement Européen des victimes israéliennes du terrorisme. Elle a été déterminante pour moi et pour un certain nombre de mes collègues. Je me souviens du récit d’un père qui avait perdu sa fille dans l’attentat de la Pizzéria Sbarro. Parce que ce père, qui avait réussi à transformer sa souffrance en discours et en combat, nous a dit « Vous pouvez faire quelque chose » et ses paroles résonnent toujours en moi. Je ne sais pourquoi il y avait aussi dans cette délégation un père qui venait de perdre sa femme et ses deux petits garçons trois semaines avant dans l’attentat du Kibboutz Metzer . Cet homme qui avait à peine commencé son deuil, transporté là dans la froideur du Parlement Européen, ne pouvait pas parler. Il ne pouvait que caresser du bout des doigts la photo de sa femme et de ses enfants. Nous avons beaucoup de mal à compatir, à partager l’émotion. Voilà les leçons que m’inspire la distance qui se fait entre Israël et l’Europe : nous ne partageons pas les mêmes émotions. Les vrais héros, ceux qui n’auront jamais le Prix Nobel, ce sont ces mères de famille qui voient leurs enfants partir à l’école sans savoir si elles les reverront, ces chauffeurs de bus qui prennent leur service chaque matin. Si nous ne comprenons pas cela, nous ne pouvons comprendre la politique de cet état. Il n’y a pas qu’Israël, vous avez replacé le terrorisme dans une perspective plus large. Il y a l’Algérie et il y a tous les pays qui sont frappés par les attentats . Mais nous avons du mal à regarder la réalité en face, dès lors qu’elle n’est pas conforme à l’idée qu’on s’en fait. On ne voit que ce que l’on croit ! Quand on demande à des jeunes ce qu’évoque pour eux la guerre d’Algérie, ils disent : la mobilisation, les rapatriés, la torture. Certes, il est très bon que la France ait fini par regarder en face cette page noire de son histoire et ait reconnu ses responsabilités. Mais il reste une page non-enseignée: le terrorisme. S’il ne justifiait en aucun cas pas la torture, c’est une réalité de cette période qui reste occultée, de la même façon que nous avons cessé de nous indigner des centaines de milliers de morts du terrorisme en Algérie aujourd’hui. Albert Camus nous manque ! A-t-on encore un écrivain, un philosophe qui ait pensé le terrorisme avec cette précision, cette rigueur, cette exigence ? Il a toujours condamné et démonté avec une implacable constance la logique du terrorisme et je rends grâce à ceux qui ont publié la compilation des écrits d’Albert Camus sur le terrorisme. Il est très utile de se replonger dans ses écrits pour mieux contribuer à la réfutation de toutes les justifications du terrorisme. Notre responsabilité d’Européens, c’est d’abord, comme nous y invitaient les victimes dont j’ai parlé, de combattre le terrorisme, c’est à dire de faire cesser toute sorte d’incitation à la haine. C’est d’exiger un contrôle du financement, dont on sait qu’il peut être détourné vers la corruption et, plus grave, vers le terrorisme, vers l’éducation à la haine et l’incitation au martyr. Depuis quelques années, j’ai découvert que le contribuable européen finançait un système éducatif basé sur une pédagogie de la haine et une incitation permanente au martyr, alors que notre histoire nous qualifie pour nous comporter autrement ! L’Europe ne s’est pas seulement faite sur le charbon, l’acier et l’euro. Notre histoire c’est celle de la réconciliation franco-allemande, du dialogue, du partage, du pardon. Lorsque l’on trouve dans le testament de certains auteurs d’attentats suicides des phrases entières qui proviennent de manuels scolaires qui ont servi de base à un enseignement que nous finançons, je dis que notre aveuglement a tué et cela je ne peux l’admettre ! Je précise une fois de plus que je suis favorable au financement de l’Autorité Palestinienne à condition que ce financement aille dans le sens du développement et de la paix. En 1946, une commission a été mise en place par De Gaulle et Adenauer pour retirer les phrase anti-allemandes des manuels français et les phrases anti-françaises des manuels allemands. On a cessé d’appeler les Allemands « boches ». Nous les avons nommés par d’autres noms et regardés avec d’autres yeux. Notre aveuglement est coupable parce qu’un enseignement que nous avons financé a empoisonné l’âme des enfants. Heureusement , tous ceux qui ont reçu cette éducation ne se sont pas transformés en bombes humaines. Mais tous ceux qui se sont transformés en bombes humaines ont reçu cette éducation avant de recevoir un endoctrinement plus conséquent. Si l’enquête lancée aboutit à la démonstration qu’effectivement de l’argent européen a pu servir au financement des Brigades des Martyrs d’Al Aqsah ou à toute action terroriste, alors je serai le premier à réclamer la démission de la Commission Européenne. Enfin, j’ai noté que vous mentionniez qu’il est dans la société palestinienne des gens qui ont le courage de réfuter le terrorisme, de la condamner. Ces gens, notre devoir est de les aider et de les protéger car ils sont menacés. Ce sont d’authentiques militants, d’authentiques patriotes et notre responsabilité est de les aider car le peuple palestinien mérite un autre leadership. Avant de regagner Strasbourg, je vous remercie de votre mobilisation. Curieusement, nous ne sommes pas nombreux à considérer que le terrorisme est un crime contre l’humanité. L’enjeu n’est pas seulement matériel et politique, il est éthique . Nous avons à planter des bannières sur le terrain moral et à les tenir haut et ferme pour ne jamais tolérer l’ombre d’une justification du terrorisme.