Le livre de Stéphane Simon sur « Les derniers jours de Samuel Paty, Enquête sur une tragédie qui n’aurait jamais dû avoir lieu » (1) est glaçant.
Stéphane Simon, journaliste, est fils, petit-fils et arrière-petit-fils d’enseignants de l’école de la République, celle qui avait pour mission de fabriquer des citoyens instruits,responsables et respectueux. Le livre, non seulement relate l’emballement des réseaux sociaux qui, ajouté à la fascination morbide des dérives islamistes, a conduit au pire, mais dissèque le millefeuille administratif qui, informé, alerté, n’a pas vu, n’a ni agi, ni réagi, se contentant de cliquer pour transférer.
La solitude, voire l’abandon de Samuel Paty à ce qu’il pressentait, est injustifiable. N’avait-t-il pas placé dans son sac à dos le petit marteau offert par son père, geste dérisoire mais significatif de sa conscience du danger qui montait et le cernait.
Pas de vague et minimisation
Lorsque la principale du collège, Audrey Fouillard, reçoit quasiment sur le champ le père de l’élève, accompagné d’un individu qui se présente comme le responsable des imams de France, elle ne sait pas que l’élève, menteuse, n’a pas assisté au cours. Sans avoir au préalable rencontré Samuel Paty, elle est prise au dépourvu, désemparée. « Islamophobie », le mot terrible qui condamne sans appel au nom de la « souffrance et de la discrimination » sans fin des Musulmans est lâché, crime majeur puisque régulièrement placé au même niveau que la Shoah. On se souvient entre autres de l’étoile jaune lors du défilé du CCIF en novembre 2019 qui hurla Allah Akbar, à 200m du Bataclan et de ses fantômes. La nuée sombre et menaçante des accusations de racisme et autres s’abat sur Samuel Paty et le collège. Il faudra deux jours pour que le mensonge soit établi : l’absence de l’élève du cours fatidique. Durant ces deux jours, les vidéos du père de l’élève et de l’imam chef auto-proclamé sont préparées, diffusées, partagées des milliers de fois. Rien n’arrêtera plus ce déferlement. Ceux qui veulent régler leurs comptes aux Khouffars se mettent en ordre de marche. Le professeur dit « voyou » est désormais affublé d’une cible dans le dos, qui de jour en jour, sera plus visible, que l’accusation portée soit une affabulation ne change rien. De son côté, le millefeuille administratif est trop occupé à lire et diffuser, non pour alerter véritablement et agir, mais pour ouvrir les parapluies.
Millefeuille administratif
Les services du rectorat sont alertés, des réunions organisées surtout à destination des collègues du professeur. Les messages d’insultes s’accumulent sur le répondeur du collège. Mais n’est-ce pas « normal », lorsque « l’islamophobie » est convoquée. On se souvient de la femme voilée à qui, en réunion, un élu avait demandé d’enlever son voile. Tuée, vie brisée, aucun qualificatif ne fut assez virulent pour cet incident qui fit la joie des médias. Les mails circulent notamment celui de Samuel Paty qui met les choses au point le dimanche soir, après une semaine déchaînée. Mais n’est-il pas d’ores et déjà vu comme le coupable, par qui le scandale est arrivé.
Pendant ce temps, la plateforme Pharos, où sont signalés les messages à contenus violents ou incitant à la haine, reçoit des signalements, en particulier concernant des messages du tueur qui se prépare. Les signalements seront signalés, transférés, broyés, perdus dans le millefeuille où les signalements s’amoncellent. Quelles en sont les suites ? Apparemment, il n’y a pas trace de suites. Les plaintes s’accumulent également au commissariat : celle du père de l’élève, celle de Samuel Paty, celle de la principale. Elles sont enregistrées et selon la formule, sont « en cours ». Samuel Paty ne bénéficiera pas de protection policière. Sur l’insistance de la directrice, finalement des rondes seront effectuées aux abords du collège. Le tueur islamiste dira aux élèves, à qui il a donné quelques euros pour lui désigner sa cible, Samuel Paty, de s’écarter et de se cacher pour ne pas éveiller les soupçons de la voiture de police qui passe quelques instants avant le moment fatal.
Pourquoi Arnaud Beltrame ?
Combien de personnes ont été alertées ? Combien ont vu le risque mais accablées de dizaines, centaines de signalements n’ont pas jugé utile de s’alarmer vraiment, de prendre une initiative, de prendre contact avec la police locale, voire avec la direction des services qui analysent les signalements Pharos. Tous les voyants ont été allumés mais personne n’a remarqué qu’ils étaient au rouge. Et si Arnaud Beltrame s’était trouvé au milieu de cette situation, qu’aurait-il fait ? Pourquoi faire appel à ce héros qui a voué sa vie à la défense de valeurs et a trouvé la mort en le mettant en acte. Est-il le dernier héros de la France ? La lutte contre le terrorisme ne peut se limiter à une gestion administrative. L’affaire Samuel Paty, comme l’affaire Sarah Halimi, où des cohortes de policiers ont entendu les cris de douleur durant plus de vingt minutes sans intervenir, ne sont-elles pas symptomatiques de cette France qui, accablée par les attentats terroristes, la violence de la société, l’anarchie parlementaire, s’est anesthésiée et apparaît en voie de soumission ? Préférant ignorer les signes inquiétants pour se réfugier dans un formalisme administratif où toute initiative individuelle devient problématique car elle rompt le calme de la surface, du « c’est en cours », même si rien, ni personne ne court ?
Samuel Paty a été tué parce qu’il voulait, dans le cadre de ses fonctions, contribuer à former des citoyens vigilants et responsables.
Est-ce désormais un crime ?
Béatrice Szwec et Evelyne Gougenheim, respectivement présidente et administratrice du MPCT
(1) Ouvrage paru le 6 avril 2023, édité par PLON