[Cette tribune a été publiée par le site participatif du Nouvel Observateur sous le titre {“Charlie”: assez de langue de bois, nommons cette idéologie dévastatrice qui nous attaque}] :[http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1306313-charlie-assez-de-langue-de-bois-nommons-cette-ideologie-devastatrice-qui-nous-attaque.html->http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1306313-charlie-assez-de-langue-de-bois-nommons-cette-ideologie-devastatrice-qui-nous-attaque.html]Si le pays ne s’était pas levé pour crier sa réprobation auprès l’offense, le terrorisme aurait remporté une effroyable victoire. Mais femmes et hommes ont marché par millions, des heures durant, au nom de la défense de la liberté. De fait la France était debout contre le terrorisme, sans pour autant le nommer. On a comparé cette foule immense à celle de la Libération. Plus près de nous, elle rappelait la mobilisation extraordinairement massive des femmes iraniennes en 1979 contre l’obligation du port du voile islamique. On avait annoncé une marche républicaine. Elle le fut par le déploiement des couleurs du drapeau national, par la Marseillaise tant de fois entonnée et par l’acclamation d’une police pourtant si souvent vilipendée. On avait annoncé une manifestation silencieuse mais la clameur « Charlie, Charlie, Charlie » montait comme un cri d’amour », associée à « Liberté d’expression ». On entendit aussi « Ensemble, unis pour la démocratie » et « Même pas peur. » Ces slogans étaient ceux du premier soir, comme si le compteur était resté bloqué à Charlie. Depuis, la terreur avait pourtant frappé une jeune policière et quatre Juifs. Si on voyait des affichettes « Je suis Charlie, je suis policier, je suis juif. » la marche s’affirmait quasi-exclusivement comme un gigantesque Charlie. Le malaise était manifeste chez bien des manifestants juifs, épouvantés par le carnage antisémite de l’avant-veille, usés par des années d’attaques sur fond de diabolisation d’Israël. {{Et maintenant ?}} Des vies sont brisées, des familles sont écrasées de douleur mais Charlie Hebdo reparaît et c’est tout un symbole. Pour que la résistance perdure et s’affirme, il lui faudra apprendre à nommer. Il faudra quitter le confort de l’abstraction pour aborder le réel. {{Assez de langue de bois. }} Ce sont des terroristes islamistes qui ont massacré 17 personnes en trois jours au nom d’Allah. En frappant à nouveau Paris, il lui ont donné un aperçu de ce que vivent des populations entières en Afghanistan, au Pakistan, au Nigeria ou en Somalie, de ce que les Algériens et les Israéliens ont vécu tour à tour. {{Il faudra dépasser les formules.}} {Je suis Charlie} … mais combien de journaux ont publié les caricatures de Mahomet pour lesquelles ceux de Charlie ont été assassinés ? {I am Charlie} … mais la presse anglo-saxonne a consciencieusement flouté le visage de Mahomet, un journal poussant le zèle jusqu’à flouter aussi l’imam sur la une « Intouchables » de Charlie Hebdo, ne laissant que le rabbin. {Même pas peur }… mais la pièce « Lapidée » est jugée inopportune au point de se voir interdite de publicité et presque de représentations. {Tous unis pour la démocratie} … mais une sécession existe, qui ose exprimer l’apologie de la violence, jusque dans les écoles. On ne saurait la réduire à un produit des carences de la République. Si elle existe ici, c’est que le monde est un village et qu’elle fait allégeance à l’ordre nouveau qui s’affirme ailleurs. {Pas d’amalgame} … mais la peur légitime de stigmatiser des croyants ne doit pas interdire la critique. Respect de la foi et de la liberté de conscience ne signifie pas soumission de la société à des interdits religieux.Répéter comme un mantra que les assassins sont des illuminés/marginaux /déséquilibrés/qui n’ont rien à voir avec l’Islam,quand ils tuent en son nom, n’aide pas les Musulmans à affronter l’idéologie islamiste, totalitaire, suprématiste et impérialiste. Qui a massacré des centaines de personnes au Nigeria 4 jours avant l’attentat contre Charlie Hebdo ? Qui a fait exploser une petite fille de 10 ans sur un marché deux jours après ? Les individus agrégés dans les hordes fascistes de Boko Haram ou de l’Etat Islamique, déséquilibrés ou pas, illuminés ou pas, marginaux ou pas, sont au service d’une idéologie et ils la font avancer. Elle sera d’autant plus dévastatrice qu’on refusera de la nommer. Huguette Chomski Magnis Secrétaire générale du Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme