{{Par Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à la FLAHM}}Article publié le 21 novembre sur le site du Magazine LEADERS-{{Il ne se passe pas un jour depuis bientôt deux mois sans que ne je reçoive dans ma boîte mail des articles de la presse tunisienne, française, belge, francophone ou anglophone au sujet de cette bataille anachronique du niqab et du procès qui en a résulté, ou des messages de solidarité provenant de partout en faveur du Doyen Habib Kazdaghli et des universitaires en butte aux extrémistes religieux et à leur programme d’assujettissement de la connaissance et des normes de fonctionnement des institutions académiques à des convictions religieuses personnelles}}. Si le problème du niqab et le procès préoccupent à ce point des universitaires, des médecins, des artistes, des écrivains, des militants de la société civile, des hommes politiques et des journalistes dans les cinq continents, c’est parce que tout ce monde est conscient que l’enjeu de la bataille dépasse le cadre de l’université, et que son issue influera sur l’avenir de la démocratie en Tunisie et peut-être même de ce qu’il a été convenu d’appeler dans un moment d’euphorie « le printemps arabe ».De fait, en réaction à mes articles sur le procès du doyen de la FLAHM ou aux manifestes que je diffuse en ma qualité de secrétaire général de l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires, parfois en souvenir de nos luttes pour l’autonomie du syndicat et de l’institution universitaire que j’ai eu la responsabilité de coordonner, à l’orée du nouveau siècle, avec mes camarades syndicalistes, les messages de solidarité des collègues et compatriotes tunisiens nostalgiques de l’âge d’or du SGESRS sont souvent l’expression de la peur du retour à l’université et même dans le pays des anciennes pratiques liberticides et du recours, de nouveau, à l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique. Une sourde angoisse étreint même certains d’entre eux à l’idée d’une possible remise en cause des acquis de la modernité en Tunisie et du mode de vie de la société tunisienne. Chez nos amis étrangers prévaut la crainte de voir la Révolution tunisienne, que le Congrès américain a applaudie et que le monde entier a saluée comme le soulèvement d’un peuple digne et courageux qui a fait preuve d’un haut degré de civisme en venant à bout d’une dictature immonde ,dévier des ses objectifs : si les valeurs universitaires, qu’on place dans les républiques civiles sur un pied d’égalité avec les valeurs démocratiques, sont bafouées et que leur défenseur emblématique est traîné dans la boue des tribunaux communs, on peut craindre de voir réservés aux libertés publiques, à plus ou moins brève échéance, le même sort et par là même à la nouvelle idylle de la Tunisie avec la démocratie le sort des autres rendez-vous historiques avortés.-{{La lourde peine de prison que risque le Doyen, s’il était reconnu coupable, explique la désapprobation générale et le haut degré de mobilisation suscités par l’affaire aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger mais ce sont les craintes liées à l’avenir des libertés et de la démocratie qui la confortent.}} Ni les reports successifs du procès – le dernier en raison de la coïncidence de la date retenue avec la célébration du jour de l’An musulman – qui semblent dans l’ordre des choses mais qui sont parfois interprétés comme la recherche d’un effet d’usure, ni l’impression favorable laissée par la dernière audience et qui augure de la tenue d’un procès régulier n’ont interrompu la chaîne de solidarité qui s’est, au contraire, renforcée de jour en jour.Ils n’ont pas infléchi la détermination des universitaires et des militants de la société civile à s’opposer à ce procès inique, ni trompé leur vigilance. C’est pourquoi ils ont tenu à organiser un troisième rassemblement à l’occasion de la troisième comparution du Doyen devant le Tribunal de première instance de la Manouba ( qui aura lieu finalement le 22 novembre) en dépit des faits et des signaux qui peuvent contribuer à l’essoufflement ou pousser à la démobilisation. Dans un appel à ce rassemblement lancé le 13 novembre à l’initiative des associations les plus concernées par les problèmes de l’université (l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires, l’Observatoire des libertés académiques ,le Forum universitaire tunisien), la coalition de plus de 40 ONG parrainée par la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme exhorte « toutes les composantes de la société civile, les partis politiques, les syndicats, et les personnalités à faire preuve de vigilance et à poursuivre leur mobilisation ». La défense des libertés publiques se trouve associée dans ce nouveau manifeste d’une matière très explicite à celle des libertés académiques pour montrer que l’effet boule de neige peut avoir raison de toutes libertés et que les libertés publiques sont autant menacées que les libertés universitaires dans le contexte de l’actuelle transition politique.Le point de départ de la nouvelle campagne de mobilisation a été donnée par le syndicat de base de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba qui a décrété, lors d’une assemblée générale tenue le vendredi 9 novembre 2012, une grève durant toute la journée au cours de laquelle le Doyen comparaîtra devant ses juges et un rassemblement devant le tribunal le même jour « pour protester à nouveau contre le caractère inique et politique du procès, pour demander l’acquittement du doyen, pour le respect de l’autonomie de l’université, des libertés académiques et de l’indépendance de la magistrature » selon un communiqué non daté publié par Khaled Nouisser, secrétaire général du syndicat de base de la FLAHM. La même assemblée générale a suggéré l’organisation d’un meeting commun à la faculté de la Manouba réunissant les syndicats de base des grandes facultés du grand Tunis des institutions du campus universitaire de la Manouba et la coalition des ONG de la société civile pour la défense des libertés et l’indépendance de la magistrature.Ce meeting, qui a effectivement eu lieu le mardi 20 novembre 2012, à partir de12h30, sous l’égide de l’Union régionale du Travail de la Manouba représentée par son secrétaire général adjoint, Maher Selmi et du syndicat de base de la FLAHM et a vu la participation d’un grand nombre de militants associatifs et d »adhérents des syndicats de base, a été largement couvert par les médias et marqué par le très haut niveau des interventions. Les représentants des syndicats de base invités et des associations coorganisatrices de l’évènement, l’Association de défense des valeurs universitaires, l’Observatoire des libertés académiques dépendant de la FGESRS et le Forum universitaire tunisien, les représentants des associations qui ont pu répondre à l’invitation et la charmante jeune étudiante, Hela Arous, représentante de l’Union générale des étudiants de Tunisie ont été unanimes pour soutenir la grève et le rassemblement et pour montrer que les personnes ciblées par le parquet, qu’il s’agisse du Doyen ou de l’artiste Nadia Jelassi l’ont été pour ce qu’ils représentent, c’est-à-dire des emblèmes de l’exercice des libertés. Beaucoup d’intervenants ont tenu à souligner leur confiance dans les magistrats tunisiens qui se battent pour imposer comme les universitaires, les journalistes et les artistes leur indépendance, pour faire respecter, en d’autres termes, les normes internationales de l’exercice de leur métier. Ils ont assuré que le rassemblement n’était pas dirigé contre eux et que son but était de les préserver des pressions de ceux qui ont cousu le procès de fil blanc. Toutes les institutions universitaires présentes se sont associées à la grève de solidarité avec le Doyen et ont annoncé l’organisation d’une grève de deux heures, le jeudi 22 novembre.Le meeting a été marqué par une grosse surprise, l’arrivée non programmée mais annoncée à ceux qui sont toujours dans le secret des dieux, d’une délégation de constituants conduite par Selma Baccar, venue apporter son soutien à Habib Kazdaghli et promettant d’œuvrer pour la constitutionnalisation de l’autonomie de l’université, des libertés académiques et de la liberté de la création. Le constituant Ali Ben Chérifa a lu, à cette occasion, une pétition de solidarité avec le Doyen de la FLAHM, signé par 50 députés d’horizons politiques différents. C’est cette même demande de constitutionnalisation des libertés universitaires et de la liberté de création qui a été adressée à M. Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblée nationale constituante par une délégation d’universitaires composée de représentants des associations de défense des valeurs académiques, qu’il a chaleureusement reçue le lundi 19 novembre et qui est venue présenter une pétition signée par plus de 1800 citoyens réclamant l’inscription dans la future Constitution de ces libertés et la protection des universitaires, des journalistes, des artistes contre les agressions des extrémistes religieux.Hier en fin d’après-midi, le secrétaire général de la FGESRS, Houcine de Boujarra a annoncé dans un long communiqué la participation du syndicat historique et le plus représentatif des universitaires au rassemblement.Sur le plan international, la campagne de soutien continue. Le Mouvement européen France, le Syndicat national de l’enseignement supérieur français, l’Internationale de l’éducation se sont associés au mouvement international de solidarité. [http://www.leaders.com.tn/article/les-syndicalistes-et-les-militants-de-la-societe-civile-solidaires-a-qui-mieux-mieux-du-doyen-kazdaghli?id=9921->http://www.leaders.com.tn/article/les-syndicalistes-et-les-militants-de-la-societe-civile-solidaires-a-qui-mieux-mieux-du-doyen-kazdaghli?id=9921]