{{Par Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à l’Université de la Manouba}}{Cet article a été publié dans le numéro du mois d’août du mensuel Leaders (format papier). Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à l’Université de la Manouba, analyse en profondeur la portée du procès (reporté au 25 octobre) d’Habib Kazdaghli, le pugnace et courageux Doyen de cette faculté, et de la mobilisation de solidarité à laquelle le MPCT participe pleinement.} {{A la mémoire du professeur Ahmed Jdey}}Plus de quinze jours après la comparution d’Habib Kazdaghli devant ses juges et la requalification des faits qui lui sont reprochés, je reprends ma plume pour faire une lecture des événements à la faveur des nouveaux développements de la situation qui donnent désormais à l’affaire l’allure d’un imbroglio politico-judiciaire et à la lumière des prises de positions de la société civile nationale et internationale et du monde universitaire. La réaction de ce dernier, bien que relativement tardive, en raison de la lourde charge de travail que représentent les examens de fin d’année ainsi que celle de la société civile, nous permettent de mesurer les jeux et enjeux de ce nouvel épisode de la bataille du niqab. La distance qui nous sépare du procès nous garantit le recul nécessaire pour une évaluation sereine de la situation. – Un procès éminemment politiqueCeux qui ont ourdi la toile au piège de laquelle a été pris Habib Kazdaghli lui en veulent à mort. A cause de son combat emblématique pour les Lumières et pour la défense des valeurs académiques et parce qu’il conçoit avec les universitaires du monde entier, l’université comme un haut lieu du savoir et non comme la scène privilégiée des tiraillements politico-religieux, il a cristallisé la haine des extrémistes qui veulent tuer l’esprit critique à l’université, lui substituer un dogmatisme aussi stérile que dangereux et qui tentent d’asservir la connaissance, les moyens de sa transmission et les modes de fonctionnement de l’université à leurs idéologies et leurs croyances sectaires. Empêchés de parvenir à leurs fins en raison de la résistance stoïque des universitaires, couronnée par le dénouement heureux de l’année académique, ils ont décidé de traîner le doyen de la Manouba dans la boue des procès de droit commun, cousues de fil blanc, de ternir son image de marque en le présentant comme un vulgaire délinquant qui mérite de comparaître devant la chambre correctionnelle d’une cour de justice et même de moisir en prison pendant cinq ans.Mais ce procès est en réalité – et la mise en scène manigancée par les comploteurs ne parvient à l’occulter- celui des enseignants de la FLAHM qui refusent d’être dépossédés de leurs prérogatives et qui défendent l’autonomie institutionnelle, celui des normes académiques et pédagogiques séculaires, rigoureuses et efficientes établies par les pères fondateurs de l’université tunisienne et par la communauté universitaire internationale.Il est par là même, celui de choix de société, basées sur l’esprit d’ouverture, et de tolérance, sur une assimilation des apports de l’Occident dans le respect de l’Islam, d’un Islam éclairé qui redonne à l’Ijtihad ses lettres de noblesse. Ces choix, objet d’un consensus national depuis plus d’un demi- siècle sont abhorrées par les extrémistes religieux qui souhaitent à la faveur de la nouvelle configuration de l’échiquier politique tunisien, les remettre en cause et qui ont décidé de mener contre ces options emblématiques du modèle sociétal tunisien un combat acharné attesté par les croisades menées tour à tour contre l’université, le système éducatif républicain, contre la presse et les artistes. L’atteinte aux libertés académiques, à l’esprit critique, à la liberté de création, comme à la liberté de presse ne sont que des exemples de la pression étouffante qu’ils exercent pour museler les intellectuels et les créateurs, pour réduire dans un premier temps à une peau de chagrin le champ des libertés avant de les phagocyter totalement. C’est parce que Habib Kazdaghli et ses collègues se sont opposés à la mise en œuvre de ce projet liberticide à l’université que le procès est intenté contre le doyen de la FLAHM et qu’il est, en ce sens, éminemment politique.C’est la prise de conscience de cette nature politique et par conséquent inique du procès , qui est à l’origine de l’indignation générale qui apparaît aussi bien dans les commentaires des médias que dans les prises de positions des universitaires ou des différents acteurs de la société civile nationale ou internationale mais qui a connu ses moments les plus intenses lors du rassemblement du 5 juillet, organisé à l’appel de la coalition des associations de la société civile, du Comité de défense des valeurs universitaires et de la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique .- Une levée de boucliers à la mesure des manipulations salafistesDans une motion publiée à la suite de l’assemblée générale commune organisée au siège de la FLAHM par les organisations susmentionnées tout juste après le rassemblement, ces dernières expriment « leur ahurissement et leur rejet de la politisation flagrante et orientée de cette affaire ». Ils expliquent cet ahurissement par la tournure prise par les évènements lors de l’audience du 5 juillet avec la modification de l’acte d’accusation qui ne se réfère plus à l’article 319 du Code pénal comme au début de la procédure mais à l’article 101 qui alourdit la peine encourue par le doyen : « Alors que tout le monde s’attendait à un acquittement en raison de la futilité de l’acte d’accusation et de l’absence de preuves véritables pour le fonder et à la mise en examen par la suite de la plaignante pour le préjudice moral qu’elle a fait subir au doyen et à l’institution qu’il représente, la cour a adopté la voie de l’escalade avec la modification de la référence de la mise en accusation ». Dans une allusion au mutisme du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique à l’occasion de ce procès et à l’absence d’un avocat commis par ce ministère pour assurer la défense du doyen, la motion dénonce « la position de l’autorité de tutelle qui n’a pas veillé à offrir le soutien suffisant et nécessaire à l’un de ses fonctionnaires alors qu’elle sait mieux que toute autre partie qu’il est innocent des accusations qui sont portées contre lui », la suspectant même d’être dictée par un parti pris politique en faveur des salafistes. Elle reproche, de ce point de vue au ministère, son « laxisme durant toute l’année universitaire actuelle » et son refus « d’assurer la sécurité et une justice équitable » aux universitaires « qui ont été victimes, dans plusieurs institutions universitaires, d’agressions très variées perpétrées par des extrémistes », pointant ainsi du doigt l’impunité dont les salafistes ont bénéficié jusqu’à présent.Dans le même esprit, le conseil scientifique de la FLAHM, réuni le 10 juillet, a publié un communiqué dans lequel il « dénonce vigoureusement le mutisme du ministère de tutelle qui n’a pas veillé à offrir l’appui suffisant et nécessaire à l’un de ses fonctionnaires à l’occasion d’une affaire vitale ». Il considère cette traduction devant la justice d’un doyen élu comme « un précédent dangereux » et comme « une fourberie dont le but est de porter préjudice à toutes les composantes de la FLAHM (enseignants, étudiants, fonctionnaires et ouvriers) qui ont réussi à achever l’année universitaire et à assurer dans de bonnes conditions le déroulement des deux sessions d’examens de la fin de l’année universitaire », et comme « une instrumentalisation de la justice ». Il dénonce également les desseins obscurantistes « des groupes religieux extrémistes qui ont essayé en vain d’imposer par la force leurs conceptions éducatives et sociétales rétrogrades » avant d’insister « sur son attachement aux normes pédagogiques et aux règles de communication fixées le 2 novembre 2011 et relatives à la nécessité de se découvrir le visage pendant les séances d’enseignement, d’examens et d’encadrement » et de réclamer, à nouveau, à la fin du communiqué, « la prise en charge par l’autorité de tutelle de la sécurité de ses fonctionnaires, la protection de la faculté et la publication d’un texte clair qui impose à tous ceux qui fréquentent l’université l’observance du règlement intérieur de chaque institution universitaire » . Dans une allusion claire au caractère politique du procès, les doyens des facultés des lettres et sciences humaines du pays, solidaires de leur collègue, dénoncent dans un communiqué largement diffusé par la presse électronique, derrière les incidents dont plusieurs institutions ont été le théâtre mais dont la Manouba a été la cible privilégiée, l’action de « groupes extrémistes opposés aux acquis de la citoyenneté et à la consolidation de l’Etat civil » et expriment leur rejet d’un procès qui risque de se transformer en moyen de pression exercé sur les chefs des établissements d’enseignement supérieur pour les dissuader d’accomplir leur mission académique ou administrative dans le respect des règles établies par la profession.Le conseil scientifique de l’université de la Manouba réuni le 9 juillet, sous la présidence du recteur Chokri Mabkhout, a tenu à exprimer son soutien inconditionnel à la FLAHM et à son doyen. Le communiqué du conseil scientifique de la FLAHM, s’est fait l’écho de cette solidarité et s’en est félicité. Des partis politiques démocrates comme Al Massar, le Parti Républicain et le Parti Ouvrier Communiste Tunisien se sont déclarés solidaires de la FLAHM et de son doyen. – A l’échelle internationale, Le Mouvement pour la Paix et contre le Terrorisme, après avoir annoncé la comparution d’Habib Kazdaghli devant la justice et fait part de l’impunité dont jouissent tous ceux qui ont agressé le doyen et ses collègues durant les derniers mois, dénonce dans un communiqué publié la veille du procès « une justice à double mesure ».Des dizaines d’universitaires, professeurs et chercheurs émérites, intellectuels, professionnels des sciences, des arts et des lettres français ont exprimé dans une pétition intitulée « Manifeste de solidarité avec le professeur Kazdaghli et les universitaires tunisiens », leur consternation de voir le doyen de la Manouba « poursuivi devant les tribunaux et menacé d’une lourde peine de prison » alors qu’il « a été victime d’agressions violant toutes les normes de conduite à l’égard d’un professeur et d’un doyen d’Université, avec des voies de fait confirmées par les nombreux témoignages qui [leur ] sont parvenus » et leur «pleine solidarité avec tous les universitaires, intellectuels et artistes qui défendent avec force et courage les valeurs universelles des sciences, des humanités, et des arts ». Ils appuient l’aspiration de ces derniers à « la liberté d’enseignement, de recherche et de création » considérée de leur point de vue comme « une condition nécessaire à une vie universitaire et artistique dégagée de toute pression politique ou idéologique ».Après avoir rappelé que l’université devait « être préservée de toutes les formes d’extrémismes pour garantir aux étudiants un enseignement libre et respectueux des valeurs universitaires », la député européenne Mélika Ben Arab-Attou a exhorté, dans un communiqué daté du 3 juillet, la justice tunisienne à trancher « en faveur des libertés fondamentales pour que les universités tunisiennes ne deviennent pas les hauts lieux d’un quelconque fanatisme ».Evoquant le procès du 5 juillet et l’acharnement des salafistes contre le doyen Kazdaghli « plusieurs fois victime d’injures et d’actes violents », le conseil d’administration de l’Université de Toulouse II-Le Mirail a tenu, dans un communiqué publié le 3 juillet, à « exprimer son soutien sans réserve à un collègue tout entier dévoué aux intérêts d’une Université tunisienne laïque et démocratique ». La sénatrice, Monique Cerisier Ben Guiga, a exprimé à Habib Kazdaghli « victime de menées antirépublicaines qui s’en prennent au versant universitaire de la liberté de penser, de s’exprimer, de créer » sa sympathie. L’ancien recteur de l’académie de Toulouse, Philippe Joutard, s’est déclaré ahuri face à « cette incroyable affaire » et a assuré le doyen de sa solidarité agissante. Le vice-président de la Société Maltaise de France, Patrice Sanguy, a déclaré qu’il était profondément choqué par « la campagne de diffamation » dont le doyen avait été la victime, par « le manque de soutien de ses autorités de tutelle », et par « les ahurissantes actions du parquet prises à son encontre ». – La nouvelle stratégie de l’extrémisme religieux et ses limitesAvec ce procès, les extrémistes religieux recourent à une autre stratégie pour déstabiliser la FLAHM et l’université. Ils renoncent momentanément à l’opposition frontale et essaient d’instrumentaliser la justice pour avoir à l’usure les universitaires et obtenir gain de cause, réutilisant la stratégie éculée des agresseurs qui, pour se tirer d’affaire, prétendent avoir été agressés. Ils pensent qu’avec la mise en examen du doyen et de sa condamnation qu’ils appellent de tous leurs vœux, ils vont avoir toute la latitude pour obtenir la révision des choix pédagogiques, scientifiques, du contenu des programmes et de la réglementation régissant la vie universitaire.Ils oublient, ce faisant, que le responsable élu d’une institution d’enseignement supérieur ne gère pas son établissement comme une propriété privée, qu’il met en œuvre les décisions d’un conseil scientifique, lui aussi élu, parce que la loi et ses engagements électoraux l’y obligent. Ils ne tiennent pas compte aussi ou ne connaissent pas l’histoire de la FLAHM faite d’une longue tradition de luttes pour faire valoir l’autonomie institutionnelle et syndicale, pour défendre les libertés académiques, pour le maintien du principe de l’élection du doyen, pour son extension aux directeurs des établissements universitaires et aux recteurs. Je peux témoigner, pour avoir eu l’honneur d’avoir été, au cours des trente dernières années, un acteur privilégié de cette histoire en tant que coordinateur général du Syndicat Général de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ou comme responsable élu pour assurer au sein de la FLAHM ou d’autres institutions des fonctions aussi bien académiques que syndicales, du dénouement heureux de ces luttes, de l’expérience qui en a résulté pour l’université et de la transmission de ce legs de génération en génération pour le bien de l’institution et du pays. La FLAHM recueille aujourd’hui les fruits de cet héritage. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons d’une résistance aussi héroïque ou expliquer autrement son raffermissement dans les prochains mois. Ce rappel historique montre aussi la cécité politique de ceux qui ont poussé le ridicule jusqu’à prétendre que le doyen Kazdaghli et son équipe avaient mené ce combat pour des considérations politiques sectaires.Les extrémistes religieux oublient surtout ou mésestiment la nouvelle donne politique qui fait que le combat de la FLAHM est devenu, depuis le 17 avril 2012, date de la publication de l’appel des 130 pour la constitution d’un comité de défense des valeurs universitaires, signé par plus de 1500 enseignants, artistes, acteurs de la société civile, militants des droits de l’homme, militantes féministes, un combat qui engage toute la société.- Le rassemblement du 5 juillet ou le bras de fer entre les salafistes et la société civileC’est la société civile, toutes tendances et associations confondues qui mène aujourd’hui le combat pour le respect de l’autonomie institutionnelle et des libertés académiques à l’université dans une parfaite symbiose avec la FLAHM et la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, symbiose qui s’est manifestée pendant le rassemblement du 5 juillet devant le siège du tribunal de première instance de la Manouba, au cours duquel 2500 manifestants environ sont venus exprimer leur solidarité. On a même vu un bus loué pour la circonstance transportant des universitaires venus de Sousse. Les militants de la coalition des ONG (plus d’une quarantaine d’associations), dont l’activité est coordonnée par le bâtonnier Abdessattar Ben Moussa, président de la LTDH, ont tenu à être présents massivement le jour du procès devant le tribunal.La protestation s’est déroulée dans l’ambiance festive et solennelle caractéristique des procès politiques où les manifestants, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, entonnent des chants patriotiques pour exprimer leur détermination à poursuivre la lutte et pour clamer haut et fort leur conviction dans le triomphe des valeurs qu’ils défendent. Les participants au rassemblement, optimistes et enthousiastes à souhait, en dépit du choc engendré par la requalification des faits reprochés à Habib Kazdaghli, ont entonné au moment de l’entrée du doyen dans la salle d’audience et à sa sortie du prétoire l’hymne national, ce chant révolutionnaire de la résistance contre l’occupation, pour signifier qu’ils étaient dépositaires à la fois des valeurs patriotiques et des valeurs de la Révolution. Pendant ce rassemblement historique, les youyous des femmes, composante traditionnelle du rituel de protestation contre les procès politiques depuis les arrestations de Bourguiba et célébration anticipée d’une victoire assurée, fusaient de toutes parts et à intervalles réguliers, comme pour certifier que la lutte engagée porterait ses fruits , que le chemin de croix des universitaires ne serait pas vain et que les assauts de l’extrémisme religieux ne viendraient pas à bout du printemps tunisien appelé à perdurer grâce aux sacrifices consentis par les démocrates. C’est en raison de cette prise de conscience des enjeux de ce procès pour la démocratie naissante en Tunisie que l’UGTT et la LTDH ont désigné les maîtres Monia El Abed et Mohamed Hédi Labidi pour défendre le doyen Kazdaghli et qu’un collectif d’avocats s’est porté volontaire pour assurer sa défense. Béji Caïd Essebsi, le premier ministre qui a mené à bon port la première étape du processus de transition démocratique et deux de ses ministres, Ridha Belhaj et Mohamed Lazhar Akremi, tous fondateurs de l’Appel de la Tunisie font partie de cette pléiade d’avocats même s’ils n’étaient pas tous présents dans le prétoire. Le courage du professeur Ahmed Jdey, chercheur à l’Institut d’Histoire du Mouvement National, bravant la maladie pour être présent au rassemblement, victime d’un grave malaise dont il ne se remettra pas et qui décédera quelques jours plus tard ainsi que la présence de Khaoula Rachidi, cette étudiante devenue une icône en Tunisie depuis qu’elle s’est opposée au profanateur du drapeau national, sont emblématiques de cette détermination des démocrates tunisiens, toutes générations confondues, à empêcher que le printemps tunisien ne se transforme en automne salafiste ou islamiste. Ce genre de procès et les actions liberticides contre l’université, les intellectuels et les artistes constamment légitimées par le mouvement Ennadha révèlent ce risque et battent en brèche l’opinion propagée par les gourous du parti au pouvoir d’une métamorphose de l’ancien Mouvement de la Tendance Islamique en mouvement démocratique musulman à l’image des partis démocrates chrétiens du vieux continent. Cette opinion répercutée dans une certaine presse et communément répandue auprès de l’opinion publique apparaît de plus en plus, comme un mythe, certes entretenu pour embellir l’image de marque du parti de Rached Ghannouchi mais révélateur, aux yeux de plusieurs observateurs de la scène politique tunisienne très perspicaces, de la dichotomie entre le discours ouvert et rassurant que ce parti développe et ses pratiques politiques inquiétantes. Cette analyse se trouve confortée par les liaisons dangereuses entre le mouvement islamiste et ses cousins et alliés salafistes et surtout par le dernier congrès du mouvement qui n’a pas changé d’un iota sa ligne politique et qui a reporté l’examen des questions cruciales au congrès extraordinaire de 2014. Souhayr Belhassen est venue apporter le soutien de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme mais sa présence au rassemblement a été perçue comme un rappel symbolique de la solidarité internationale avec la FLAHM et son doyen exprimée depuis le début de la crise et à l’occasion de ce procès par des universitaires des cinq continents, par des instances internationales de protection des droits de l’homme, par des associations de la société civile internationale chargées de la défense des droits de l’homme. Rappelons, de ce point de vue, l’appui inconditionnel exprimé en décembre 2011 par plus de 200 universitaires français et européens, celui émanant d’une une centaine d’éminents chercheurs et universitaires du monde entier, publié en mai 2012. N’oublions pas la position d’Human Watch Rights exigeant depuis décembre 2011 des autorités tunisiennes la protection de l’espace universitaire contre les agressions salafistes. En avril 2012, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme a soutenu, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour le droit à l’éducation, Kishore Singh, venu en Tunisie effectuer une visite de travail, les revendications relatives au respect des libertés académiques et de l’autonomie institutionnelle formulées par les universitaires tunisiens. En juin 2O12, Robert Quin, le directeur exécutif de l’association internationale Scholars at Risk, en visite en Tunisie, pour mener une enquête sur les violations de l’autonomie institutionnelle et des libertés académiques, a reçu des autorités tunisiennes – c’est du moins ce qui ressort de la conférence de presse qu’il a accordée à la fin de sa visite – la promesse qu’elles assureraient la sécurité des enseignants, qu’elles protégeraient les libertés académiques et qu’elles feraient des déclarations dans ce sens. Dans une lettre ouverte au président de la République tunisienne, datée du 26 avril 2012 et qui a fait le tour du Web, André Noushi, l’un des fondateurs de l’université tunisienne et grand ami de la Tunisie, jugeant que les agressions salafistes menaçaient « l’avenir politique de la Tunisie » et « sa crédibilité à l’échelle internationale » a souhaité voir la FLAHM protégée et sécurisée « à l’intérieur de son enceinte par un corps de vigiles dépendant du doyen ».Le Mouvement pour la Paix et contre le terrorisme a initié une pétition internationale de soutien au doyen Kazdaghli à la suite du procès du 5 juillet. Si le rappel des réactions nationales et internationales aux agressions perpétrées contre l’université a un mérite, c’est celui de pousser ceux qui tablent sur une démobilisation des démocrates, à ne plus tirer des plans sur la comète et à réviser leurs calculs. La chaîne de solidarité nationale et internationale en faveur du doyen de la Manouba et de la FLAHM, se renforce de jour en jour parce que – et les forces vives de notre pays l’ont compris – ce qui se joue aujourd’hui à l’université et dans toute la Tunisie, c’est l’avenir de la démocratie. Un bras de fer impitoyable oppose les démocrates et les fossoyeurs de la démocratie et non, comme veut le faire accroire une propagande islamiste partisane, les croyants et les mécréants. Ce clivage est créé de toutes pièces comme dans la crise du niqab ou à l’occasion du printemps des arts de la Marsa pour porter atteinte aux libertés , préparer le terrain à tous les projets liberticides et mettre fin à la démocratie naissante.L’issue de l’interminable crise du niqab va dans les prochains mois constituer un test qui permettra d’évaluer les véritables intentions du gouvernement. S’il tient à sauver le processus démocratique et à montrer qu’il s’engage réellement, comme il l’a promis, dans la voie qui mène à l’avènement d’une république civile et démocratique, il doit impérativement faire respecter les lois positives à l’université, assurer la sécurité des enseignants, des étudiants et du personnel administratif et ouvrier et veiller à ce que les véritables coupables des violences soient traduits en justice en vue de garantir le bon déroulement de l’année universitaire. Dans le cas contraire, c’est sa crédibilité qui sera écornée et c’est la FLAHM qui risque de tomber de Charybde en Scylla et à sa suite plusieurs institutions universitaires visées par la campagne salafiste dans une atmosphère qui sera extrêmement tendue à la rentrée prochaine. Ce scénario plus que probable, si le gouvernement ne fait rien pour débloquer la situation, déstabilisera vraisemblablement toute l’université. On voit mal en effet comment les enseignants de la FLAHM et les universitaires tunisiens, qui ont fait preuve jusqu’à présent de beaucoup de retenue et d’un sang-froid exemplaire dans la gestion de la crise, pourraient éviter l’escalade que les derniers développements de la situation annoncent et vers laquelle poussent les salafistes qui font flèche de tout bois pour faire aboutir leur projet éducatif anachronique que la société civile tunisienne ne peut contrer que grâce à une plus grande résistance. C’est ce que les présents à l’assemblée générale du 5 juillet ont compris puisqu’ils ont exhorté dans leur motion la FGESRS « à intensifier son activité dans le sens d’une plus grande coordination avec les composantes de la société civile et politique dans le but de contrer l’escalade adoptée par le pouvoir contre l’autonomie de l’université, les libertés académiques et pour donner une plus grande efficience aux outils de la transition démocratique », et toutes les parties concernées par l’université et la défense des libertés « à une mobilisation continuelle en vue de faire face à la dangereuse dérive de la justice et au danger de la faillite qui menace en général la transition démocratique ». Prions pour que le gouvernement prenne la décision la plus avisée, celle qui permettra de mettre fin à la crise et qui évitera après l’annonce du verdict dans le procès intenté contre Habib Kazdaghli qu’un journaliste ne soit acculé à la publication d’un article qu’il intitulerait « Chronique d’une condamnation annoncée ». Tunis, le 24 juillet 2O12Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à la FLAHM