{{La conclusion de Fodé Sylla à la Conférence du 1° Juillet 2010« Terrorisme : et si on écoutait les victimes ? »}} -Avant tout, je tiens à remercier les organisateurs de cette rencontre. Il faut féliciter ces trois associations : l’Association Française des Victimes du Terrorisme, les Amis de l’Algérianie, et le Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme. Je tiens à dire que, si nous avons quelqu’un ici ce soir à saluer, c’est précisément cette autre victime du terrorisme, celle qui n’a pas pu être des nôtres aujourd’hui. Merci de nous avoir réunis ce soir pour donner la parole aux victimes du terrorisme, car c’est unis que nous devons affronter ce sujet dramatique. -J’ai été particulièrement touché par ces témoignages. Lorsqu’on traverse un drame, tel que la perte d’un enfant, on éprouve beaucoup de difficultés à en parler, comme l’a exprimé la première intervenante. Et ce, même si on est entouré par des amis ou des proches, car eux mêmes hésitent souvent à aborder le sujet. Pourtant, à travers ces mots, nous avons pu percevoir la souffrance d’une fillette de dix ans qui, à la veille de la rentrée scolaire, va simplement manger une glace avec ses parents et s’en trouve meurtrie à jamais. Nous avons pu imaginer notre amie Zakia, se rendant en pèlerinage qui assiste aux derniers instants des vies de son mari et de son fils. Nous avons pu partager un moment avec Bernard Zaoui qui nous a parlé de cette mère formidable, enseignante et altruiste, qu’il a perdue suite à un attentat. Ces instants que nous avons passés ensemble, nous les avons vécus avec vous. Et cet espace que nous avons créé, c’est « lekhaïm », c’est la Vie. Pour moi, aujourd’hui, ces victimes étaient ici avec nous et nous étions aussi avec eux. C’est le message le plus important de cette soirée. -Je fais partie de cette catégorie d’hommes et de femmes qui a décidé de se lancer dans la vie publique et je perçois aujourd’hui un fossé grandissant entre ceux qui ont compris quelle était notre tâche essentielle et les autres. La tâche essentielle d’un homme public ou semi-public qui se lâche dans l’action collective c’est avant tout d’être courageux. J’ai milité pendant des années, vous le savez, à la tête de l’association SOS RACISME afin de défendre toute les victimes de racisme, d’antisémitisme, de violence et d’atteinte à l’intégrité physique. Par la suite, j’ai été élu député européen. J’ai fait partie de la délégation présente lors de la première conférence mondiale contre le racisme à Durban, peu avant le 11 septembre. Elle fut le théâtre d’une profusion de violences verbales à l’encontre d’Israël allant jusqu’à transformer cette conférence, qui devait promouvoir les Droits Humains, en une rencontre de tous les anti-israéliens du monde. Devant l’indignation qui était la mienne, à mon retour au Parlement, les plus vives critiques sont venues de mon camp car, pour être tiers-mondiste, de gauche, et en faveur de l’existence d’un Etat palestinien, il fallait selon eux être opposé totalement à l’Etat d’Israël. A ce moment là, j’ai compris que c’est précisément parce que j’étais tout cela, que je devais refuser tout comportement de haine en général. -Dès lors, ma première réaction fut de répondre :et bien voilà, il y a votre morale et la mienne.Ma morale, aujourd’hui, c’est précisément de refuser que des hommes invoquent la religion (la mienne, l’Islam, ou une autre), ou une cause, quelle qu’elle soit, afin d’ôter la vie à des individus innocents. Et c’est pour ça que j’ai accepté de parrainer le Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme. Je suis un homme politique qui pense et s’engage pleinement dans les valeurs pour lesquelles il se bat. Les choses étaient peut-être plus simple dans un monde bipolaire. Nous étions soit d’un côté, soit de l’autre. Aujourd’hui, nous devons comprendre le nouveau visage du terrorisme, dans un monde multipolaire, dans des sociétés complexes, extrêmement fragilisées par des crises économiques, financières, sociales et ethiques. -Il y a alors deux réactions possibles : ceux qui pensent que c’est ensemble, et grâce à l’action collective que nous sortirons de la crise, se battent pour tenter de recréer du lien; les autres, en prônant le « chacun pour soi » ne créent que du conflit. Ces derniers doivent savoir que leur méthode n’est pas valable en ce qui concerne le terrorisme. Car il ne s’agit pas d’une guerre dont les protagonistes et acteurs sont définis avec clarté. Aucun pays n’est épargné. L’Algérie, Israël, l’Indonésie, l’Espagne, la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le désert malien… Peu importe son pays, sa ville ou son origine sociale. Chacun peut être victime du terrorisme. Aucune personne, en aucun lieu, ni à aucun moment, n’est à l’abri tant qu’il n’a pas pris conscience de la gravité de ce phénomène. -D’autre part le terrorisme n’est pas une simple réalité circonstancielle à analyser comme tel. Non. Il s’agit d’une véritable volonté politique, structurée, disposant de moyens financiers et d’individu, dotés d’une idéologie qu’ils souhaitent imposer. Parfois, il s’agit d’une volonté évidente de nettoyage ethnique. C’est le cas de Zakia à qui on a demandé la nationalité avant qu’elle soit attaquée avec ses compagnons, son fils et son mari.On assiste ici à une volonté de détruire une catégorie de la population du fait d’une conception ethnique du monde. Effectivement, il y a dans le terrorisme une certaine volonté de purifier. C’est pourquoi, en luttant contre le terrorisme, je retrouve mon combat contre le racisme. Ils ne nous représentent pas et ne nous représenteront jamais. En aucun cas des hommes, parce qu’ils se disent Musulmans, ne peuvent tenter d’imposer leur idéologie et ainsi parler au nom des millions d’autres individus que nous sommes. -Je tiens aussi à dire que ceux qui pensent que le terrorisme existe du fait de la misère se trompent. Les terroristes ont les moyens de leurs ambitions. Leurs méthodes sont très développées et leurs limites toujours repoussées. Certains sont prêts à user de toutes les formes de violence existantes pour parvenir à leurs fins. On aurait pu penser qu’avec la nouvelle administration Obama, qui a démarré son mandat par une main tendue aux Musulmans lors de son discours du Caire, que ceux qui prétendaient attendre une reconnaissance de l’islam, auraient su profiter de ce discours pour appeler à une accalmie entre les Musulmans et le reste du monde. Mais on voit bien que face aux attaques croissantes contre des Musulmans, la logique d’apaisement n’est pas celle des terroristes, qui, rappelons le, n’épargnent personne. L’écrasante majorité des Musulmans, pratiquants, ou de culture, comme moi, sont des pacifistes, des personnes généreuses, et aussi des victimes du terrorisme.Le premier président noir de l’ancienne démocratie ségrégationniste dont le père était immigré venu d’Afrique, qui se nomme Barack Hussein, et qui plus est n’a de cesse de reconnaître la place des Musulmans dans un monde multipolaire, ne pouvait représenter meilleur symbole. Pourtant, malgré la puissance du geste, les groupes terroristes dont certains se réclament de l’Islam, continuent à commettre des actions insoutenables. -Le terrorisme est un choix. Radicalement opposé à celui de la démocratie et de la liberté. Ils sont sans compréhension possible. On peut tenter de résoudre un conflit dans le cadre d’un affrontement entre deux populations par exemple. Mais comment s’assoir à la table d’un terroriste quand aucun argument ne peut justifier l’arbitraire de ses attaques ? Enfin, je souhaite aborder plus longuement la question du courage. Cela fait maintenant trois ans que j’ai décidé de parrainer le Mouvement Pour la Paix et contre le Terrorisme. Nous n’avons pas été très soutenus et je tiens à saluer les mairies parisiennes qui nous ont accueillies ces derniers mois. Nous sommes enfin parvenus à nous retrouver et cette petite lueur qui nous anime ce soir est une grande réussite qui nous aidera à continuer à afficher notre solidarité. -Puis, nous avons obtenu d’être accueillis et soutenus par la Mairie de Paris le 11 septembre. Je soutiens la proposition de Huguette et de tous les amis du MPCT de manifester après la conférence, car comme vous, je pense que puisqu’ils veulent qu’on soit invisibles, soyons visibles. Puisqu’ils veulent qu’on se taise, parlons. Donnons la parole à ces victimes, mettons-les en avant, et obligeons les à écouter. Et nous trouverons une salle encore plus grande pour l’année prochaine, et ceux qui ne s’expriment pas par pudeur, viendront, je l’espère, petit à petit en parler. -Les personnes qui abordent le sujet dérangent beaucoup. Ils dérangent la diplomatie, ils dérangent les affaires financières, ils dérangent des intérêts. Nous nous sentons seuls, peu écoutés, peu soutenus par les pouvoirs publics, nous avons souvent le sentiment que notre parole dérange. Ce sentiment je le comprends bien car j’ai souvent rencontré des familles victimes de racisme se sentant coupables de ce qui leur arrivait. Non, en aucune façon les victimes ne doivent être tenues pour coupables. Oui, les violences racistes, antisémites, les atteintes à l’intégrité physique des individus, ne constituent pas des opinions, mais sont toutes des délits. Parler du terrorisme, c’est faire acte de courage, car c’est dépasser cette forte pression qui tend à culpabiliser les victimes et ceux qui les soutiennent. Et je souhaite continuer à créer des lieux d’échange, où Elle pourra être ici, avec nous. A la question de la personne qui me remerciait d’être là, car souvent, les hommes politiques ne prennent pas d’initiative s’il n’y a pas de medias, je réponds : j’estime que ma vie militante ne dépend pas du fait qu’il y ait des caméras, que ma vie publique et que mon engagement politique ne dépendent pas non plus du nombre de journalistes. En revanche, ils dépendent de ce qui a été dit ici, aujourd’hui. Tous ensemble ne baissons jamais la garde. Je vous remercie.Fodé Sylla