– Rien ne répare la mort d’un proche. Un enfant, un parent, un conjoint, un ami assassiné ouvrent une plaie à jamais béante chez celui qui reste. Toutefois, la justice qui transpose en paroles, des actes d’une violence inouïe, lui permet d’entamer le processus de deuil et rétablit pour la société bouleversée, un ordre assurant le lien social. La loi a été répétée, rappelée et celui qui la viole, placé du côté des coupables. – Guilad Shalit, jeune conscrit, a été enlevé en 2006 pendant sa période militaire, en dehors de tout combat ou intervention armée. Il a été et reste incarcéré, dans de terribles conditions, sans contact avec l’extérieur, sans visite de membres de la Croix Rouge, dans le déni de tout droit international, de tout droit fondamental, de toute humanité. Aujourd’hui en échange de sa libération, pourraient être libérés de prison des dizaines voire des centaines de terroristes palestiniens dont un bon nombre jugés et condamnés pour avoir été les instigateurs ou les exécutants d’effroyables attentats et les responsables de la mort de centaines de civils israéliens. -Une jeune Israélienne de 15 ans, Malki , va avec une amie à la pizzeria Sbarro, elle échange quelques propos amicaux avec un jeune Palestinien qui porte une housse de guitare, elle-même est musicienne. Puis elle meurt, déchiquetée avec tant d’autres, par l’explosion de la bombe dissimulée dans la housse de l’instrument. Ahlam Tamini a amené le jeune homme qui vient de se faire exploser avec tous les innocents qui l’entourent, elle a participé activement et en toute connaissance de cause à ce massacre et elle clame, encore aujourd’hui, qu’elle n’en éprouve aucun regret. Cette femme va être libérée avec d’autres meurtriers cyniques pour que Guilad Shalit soit rendu aux siens. – Il se trouve que nous, membres du Mouvement pour la Paix et Contre le terrorisme, connaissons Arnold Roth, le père de Malki et qu’il fait partie de l’Alliance Internationale Contre le Terrorisme dont nous sommes cofondateurs. Il se trouve que nous souffrons avec lui de cette injustice, que nous sommes témoins directs du cauchemar de ce père qui, après l’indicible douleur d’avoir perdu son enfant, devra aussi supporter l’injustice de voir son assassin libéré et son retour dans la plus totale impunité, fêté bruyamment. Cette situation déchirante, intolérable, nous pouvons nous la représenter pour les proches de tous les morts, pour tous les blessés handicapés à vie, dont les assassins vont être acclamés comme des libérateurs.- Il arrive que des banques, des avions, des bateaux, des écoles soient pris en otage avec leurs occupants. Il arrive que les négociations soient difficiles et que pour préserver la vie des otages, on cède aux exigences des pirates. Souci fondamental de sauver des vies, défaite des forces de l’ordre ; en tout cas les malfaiteurs sont reconnus comme tels. Ce qui se passe dans le cadre de la libération de Guilad Shalit semble malheureusement d’un autre ordre. Nulle voix ne s’élève de la part des institutions internationales, des différents Etats de droit, pour déplorer une telle injustice, simplement pour reconnaître cet échange comme une injustice qu’un président, soucieux de la vie de ses concitoyens, se résout à accepter. Les Israéliens ont entamé une guerre au Liban en 2006 pour libérer Guilad et les deux autres malheureux soldats enlevés aussi dont, bien longtemps après, les dépouilles ont été échangées contre une centaine de prisonniers bien vivants parmi lesquels un odieux assassin d’enfants. Guerre perdue si l’on considère la réalisation de son objectif, guerre incomprise car refuser l’installation de pratiques maffieuses, telles que l’enlèvement et la prise d’otages, ne semble plus aller de soi. – C’est là que réside le malaise, l’incompréhension. Ce n’est pas seulement dans le choix d’une solution inique mais pragmatique ; c’est dans la méconnaissance, dans le déni de cette iniquité. La dissymétrie n’est pas prise en compte : dissymétrie au plan du nombre de prisonniers échangés mais surtout au plan de leur nature : un otage, soldat, conscrit contre des assassins volontaires, ciblant délibérément des civils pour semer la terreur, redonnant son sens étymologique au mot terroriste . Il ne s’agit pas de discrétion, d’inattention, d’oubli. Il se passe aujourd’hui une véritable révolution de valeurs. L’action violente terroriste vaut comme action politique, elle remplace le discours, elle se substitue aux pratiques réglées par un droit international fondé sur le respect des valeurs universelles, elles-mêmes issues des droits humains fondamentaux. Sans reconnaître ces valeurs, sans se plier aux contraintes des institutions internationales, les terroristes profitent des droits sans consentir à leurs devoirs. Ils sont reconnus comme acteurs politiques alors qu’ils nient et conspuent délibérément le fonctionnement politique et cela dans l’indifférence, pire dans la complaisance générale. – Nous n’avons pas vocation à intervenir dans la politique des Etats ni dans les négociations internationales. Notre association se situe sur le terrain de la pensée, pas de l’idéologie. Pensée qui exclut d’emblée la terreur dont l’objectif affirmé est de paralyser toute pensée et d’interdire toute discussion. Nous ne faisons que prendre acte du silence des instances internationales et des Etats de droit devant cet échange qui suscite l’indignation _même si encore une fois, la préoccupation de sauver la vie du jeune Shalit ne doit jamais être perdue de vue. Que par souci d’humanité, un Etat cède à des pratiques maffieuses, cela semble déjà problématique mais cela peut se concevoir. En revanche, que ces pratiques maffieuses soient reconnues comme des revendications politiques légitimes, voilà qui annonce un glissement idéologique très inquiétant et qui nous paraît devoir être dénoncé avec la plus grande fermeté. Lise Haddad. PhilosopheMembre du Mouvement pour la Paix et Contre le TerrorismeParis le 25 novembre 2009