Algérie, histoires à ne pas dire. Un grand documentaire de Jean-Pierre Lledo

Ce film est un chef d’oeuvre: la beauté des images, toutes les sensations qu’expriment les personnages et qui sont étayées par la musique, par le travail sur la lumière, par les paysages, se communiquent au spectateur. La sensualité et la beauté qui se dégageaient de ces récits de vie, rend d’autant plus incompréhensible cette scission de certains auteurs de massacres ou de témoins consentants: d’un côté un partage de culture, une identité riche et multiple, une humanité , un humour très attachants; de l’autre la froide obéissance à des messages extérieurs, idéologiques pour lesquels ils reniaient tout ce que la vie aurait dû leur imprimer au coeur, au corps, à l’esprit. Le façon dont a été traitée le rapport à l’autre m’a semblé très fine aussi; ce mélange de langues: un mot en arabe, un en français, un en espagnol; ces gens là avaient recréé sans le savoir une sorte d’espéranto. La nostalgie exprimait surtout cette mixité de vie qui leur manquait, qui produisait à la fois une ouverture d’horizon et des liens humains générateurs de joie, de “bonheur” même, le mot est répété.Les visages si semblables : “on me prend pour une Française”, “j’ai l’air espagnol et l’Espagnol a l’air arabe”, ressemblances physiques évoquées avec plaisir par les témoins arabes. Pourtant on ne pouvait qu’être troublé par l’antisémitisme qui était affiché:” l’odeur des Juifs”; “la juiverie”, “ce Juif qui ne valait pas la balle pour le tuer”… ou par la capacité à considérer brutalement comme des étrangers, les voisins non musulmans Comme le glissement vers le meurtre de ceux qui sont comme nous, que nous aimons et qui nous aiment paraît facile, comme la détestation vient ravager rapidement des années de vie commune et de partage d’affection! On avait d’autant plus de mal à le comprendre dans le film qu’on était séduit par le charme des personnages. Tout d’un coup, l’idéologie de la haine faisait d’eux des somnanbules capables d’une cruauté et d’une inhumanité qui restait coupée de toute affectivité, parfois même dans le souvenir. Ce film est à ne pas manquer, à la fois pour ses grande qualités artistiques mais aussi pour la subtilité de la présentation de ces récits insoutenables parfois de brutalité et de simplicité mêlées. Une belle approche de cette guerre vécue à la fois comme libératrice et destructrice, matrice d’aliénations à venir et de la complexité humaine en général. Lise Haddad.