{{{David Ruzié est Professeur émérite des universités, spécialiste de droit international. }}} Lorsque l’on dit, parfois, familièrement, que l’histoire est un éternel recommencement, cette remarque vaudrait également pour la définition du terrorisme.En effet, la question avait déjà été évoquée, au lendemain de la première guerre mondiale et débattue au cours de plusieurs conférences pour l’unification du droit pénal, entre 1927 et 1935. L’idée d’une convention internationale pour universaliser la répression du terrorisme fut également débattue à la Société des Nations (SDN), à la demande de la Roumanie, en butte aux actions terroristes de la Garde de fer. Mais, il fallut attendre les lendemains de l’attentat fomenté par les oustachis croates, à Marseille, en 1934 et qui coûta la vie au roi de Alexandre de Yougoslavie et au ministre français des affaires étrangères Barthou, pour que la question soit enfin abordée à la demande de la France.Et, en 1937, deux conventions furent adoptées par le Conseil de la SDN. La première considérait comme actes de terrorisme « les faits criminels dirigés contre un Etat et dont le but ou la nature est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou dans le public ». A quelques retouches nécessaires près, cette définition avait au moins le mérite d’exister.De même, afin de laisser le choix à un Etat de poursuivre ou d’extrader les auteurs de tels actes, la seconde convention instituait une cour pénale internationale, dont les membres étaient choisis parmi les juges de la Cour permanente de justice internationale, prédécesseur de l’actuelle Cour internationale de justice. Malheureusement, aucune de ces deux conventions n’entra en vigueur, faute de ratifications.Telle était la situation au lendemain de la seconde guerre mondiale et ce n’est que lorsque le fléau des détournements d’avion, puis des actes portant atteinte à la sécurité de l’aviation civile eurent tendance à se multiplier, dans les années 60, d’abord au dessus des Caraïbes puis au Moyen Orient, que la communauté internationale songea à se doter d’un arsenal juridique pour lutter contre ces fléaux (et ce fut l’amorce d’un mouvement conventionnel spécifique que nous évoquerons plus loin). Et ce n’est que lorsque un très grand nombre d’Etats se décidèrent à accepter d’être liés par ces conventions que ces actions terroristes eurent tendance à régresser, voire à disparaître, malheureusement, à de rares exceptions près (v. attentat de Lockerbie et destruction de l’avion de l’UTA).En revanche, la tragédie des Jeux olympiques de Munich en 1972, une fois l’émotion du moment passée, n’entraîna pas de réaction générale face à la multiplication des actions terroristes sur terre.Notons toutefois que l’Europe a eu le mérite d’adopter, dès 1977, une convention par laquelle les Etats parties (aujourd’hui 45 des 46 Etats membres) s’engageaient non seulement à poursuivre les infractions visées par les conventions spécifiques déjà conclues, mais de plus s’engageaient à poursuivre les infractions comportant « l’enlèvement, la prise d’otage ou la séquestration arbitraire », ainsi que les infractions comportant « l’utilisation de bombes, grenades, fusées, armes à feu automatiques, ou de lettres ou colis piégés dans la mesure où cette utilisation présente un danger pour des personnes ».Par la suite, 7 autres conventions régionales furent conclues sous les auspices d’organisations régionales (Ligue arabe, Organisation de la conférence islamique, Organisation des Etats américains, Organisation de l’Unité africaine, Association sud-asiatique de coopération régionale, Communauté des Etats indépendants).Mais toutes ces conventions ne sont pas en vigueur et certaines ne regroupent qu’un nombre d’Etats limité.Et surtout, une définition restrictive, consacrée par certaines d’entre elles, aboutit à la vider de sa substance (v. infra).La tragédie du World Trade Center du 11 septembre 2001 devait donner un coup de fouet à la lutte contre le terrorisme. Ainsi, le Conseil de sécurité dans sa résolution 1373 décida la création d’un comité contre le terrorisme, qui effectivement, a mis en œuvre certaines mesures d’action précises, mais sans prendre en charge la question de la définition. De fait, depuis 1999, le Conseil de sécurité n’a pas adopté moins d’une dizaine de résolutions.Ainsi, en 2004, le Conseil, parmi les membres duquel figurait l’Algérie, adopta la résolution 1566 selon laquelle « les actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire, qui sont visés et érigés en infractions dans les convention s et protocoles internationaux relatifs au terrorisme, ne sauraient, en aucune circonstance être justifiés par des motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse et similaire et (qui) demande à tous les Etats de prévenir ces actes et, à défaut, de faire en sorte qu’ils soient réprimés par des sanctions à la mesure de leur gravité » (souligné par nous).L’année suivante, l’Algérie étant toujours membre du Conseil de sécurité, celui-ci adoptait la résolution 1624, aux termes de laquelle « les actes, méthodes et pratiques terroristes sont contraires aux buts et principes de l’Organisation des Nations Unies » et il condamna « avec la plus grande fermeté tous les actes de terrorisme, quels qu’en soient les motifs, où qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs, en tant qu’ils constituent l’une des plus graves menaces contre la paix et la sécurité » (souligné par nous). Cette résolution, malheureusement, dépourvue de toute force juridique ne faisait, d’ailleurs, que reprendre à l’identique la formulation du document final du Sommet mondial, rassemblant à New York, les représentants de tous les Etats membres. Mais, ce document lui-même n’avait qu’une valeur purement politique, y compris lorsqu’il consacrait l’engagement des Etats membres d’élaborer au cours de la 60ème session de l’Assemblée générale, en 2006, une Convention globale contre le terrorisme.On peut difficilement être plus précis. Et, cependant, les résultats sont inexistants. Car, c’est à l’Assemblée générale, par l’entremise de sa 6ème commission, chargée des questions juridiques, qu’il appartiendrait de promouvoir une norme contenant une définition du terrorisme, afin d’en faciliter, sinon la prévention, du moins la répression.Certes, l’Assemblée générale avait dès le 17 décembre 1996 décidé la création d’un comité spécial chargé d’élaborer une convention générale sur le terrorisme international.Mais, de fait, le comité a préféré mettre l’accent sur des conventions « ciblées » sur certains aspects du terrorisme. Ainsi a-t-il contribué à l’adoption d’une Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif (1997), une Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (1999) et, plus récemment, une Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire (2005).Ainsi compte-t-on, actuellement, 13 conventions spécifiques sur tel ou tel aspect du terrorisme (dans les airs, sur mer; prise d’otages, attentats à l’explosif, répression du financement, marquage des explosifs plastiques).Toutefois, les travaux du Comité spécial contre le terrorisme « bute » toujours sur la même question, celle de la « référence aux principes de base du droit international et, plus particulièrement, sur le droit à l’autodétermination et le droit à résister à l’oppression ».Car, dès 1985, quand la question des mesures visant à prévenir le terrorisme international fut évoquée devant l’Assemblée générale, une majorité (quasi-automatique) réussit à jumeler cette question avec l’étude des causes sous-jacentes des formes de terrorisme et d’actes de violence « qui ont leur origine dans la misère, les déceptions, les griefs et le désespoir qui poussent certaines personnes à sacrifier des vies humaines, y compris la leur, pour tenter d’apporter des changements radicaux ».Quand on connaît la situation sociale des terroristes du 11 septembre 2001, celle de ceux qui commirent récemment des attentats en Grande-Bretagne ou au Maroc, on est certes loin de la misère et on voit mal les raisons de leur désespoir.En revanche, ils pouvaient se prévaloir de la reconnaissance, confirmée par la résolution 40/61 du 9 décembre 1985, du droit à l’autodétermination et à l’indépendance de tous les peuples « soumis à des régimes coloniaux et racistes et à d’autres formes de domination étrangère et affirmant la légitimité de leur lutte ». Cette même résolution évoquait, également, le souci de « contribuer à l’élimination progressive des causes sous-jacentes du terrorisme international » en visant les situations liées à l’ « occupation étrangère ».Quant on connaît l’acception que l’on donne dans certains milieux aux notions de colonisation et d’occupation, on voit, immédiatement, à quelles dérives on aboutit. Et comme la règle d’adoption des décisions, au Comité contre le terrorisme, est celle du consensus (c’est à dire qu’il ne faut pas qu’il y ait une seule voix qui s’élève contre l’adoption d’un texte), il est facile pour les Etats musulmans, sous l’égide de la Conférence de l’Organisation islamiste (C.O.I.), qui compte 57 membres, d’empêcher la réalisation d’un consensus.Cette question des « excuses » aux actes de terrorisme que l’on retrouve dans les conventions contre le terrorisme conclues, tant sous les auspices de la Ligue des Etats arabes que sous celle de l’O.C.I. se retrouve aux Nations Unies depuis que l’Organisation mondiale a mis à l’ordre du jour de ses travaux la question de la lutte contre le terrorisme. Car, jusqu’à présent, les différentes conventions existantes, tant les conventions spécifiques que les conventions régionales se contentent de mettre en œuvre le principe suivant lequel un Etat doit poursuivre ou accepter de livrer (extrader) vers un autre Etat qui le réclame l’auteur présumé d’actes de terrorisme.Or, il n’est pas certain que tous les Etats manifestent d’intérêt à engager des poursuites (surtout s’ils ne sont concernés ni par la nationalité de l’auteur de l’acte, ni par celle de la victime, ni par le lieu de commission de l’acte) et ils peuvent avoir tendance à multiplier les arguties pour retarder l’extradition demandée (v. le temps mis par la Grande-Bretagne – 10 ans – pour extrader vers la France l’auteur présumé des attentats terroristes de 1995).D’où l’intérêt de mettre en place une juridiction internationale (comme cela avait été prévu par la convention de 1937).Or, il existe bien la Cour pénale internationale (C.P.I.), qui est en place depuis 2002. Mais, pour l’instant, cette juridiction n’est compétente que pour connaître des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide. Lors des travaux préparatoires (plus précisément dans la déclaration finale ayant été adoptée à Rome, en 1998), il a été envisagé de lui confier, par la suite, la connaissance des actes de terrorisme ; cela devrait être possible, à l’occasion de la conférence de révision du statut de la C.P.I., qui devrait s’ouvrir en 2009.Encore faudrait-il que l’on puisse définir la notion d’actes de terrorisme, dont la C.P.I. aurait à connaître.Et nous voilà ramenés à la « case départ »….En réalité, la question de la définition du terrorisme constitue plus un problème politique qu’une difficulté juridique.Il manque incontestablement une volonté politique d’aboutir. Et il n’est que de constater la facilité avec laquelle les Etats acceptent d’adopter des textes n’ayant que la valeur d’une déclaration d’intention et leur réticence à accepter de voir adopté un texte ayant force juridique.D’ailleurs – et l’exemple des conventions de 1937 est tout à fait probant – il ne suffit pas de signer une convention internationale, il faut encore confirmer son engagement à se voir lié par cette convention en la ratifiant. Or, souvent, les Etats s’arrêtent, en quelque sorte, au stade de la signature, qui n’a aucune incidence juridique, et tardent – pour ne pas dire refusent – la ratification.Il reste donc un long chemin à parcourir.{{David RuziéProfesseur émérite des universités, spécialiste de droit international(11 septembre 2007)}}